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Kristeva photo J.Foley/Opale

 

JULIA  KRISTEVA

Encyclopaedia Universalis, Article écrit par François POIRIE

 


 

Née à Sliven en Bulgarie en 1941, agrégée de lettres modernes de l'institut de littérature de l'Académie des sciences (Sofia), Julia Kristeva travaille en France depuis 1966. Après un doctorat de 3e cycle, elle est attachée de recherche au Centre national de la recherche scientifique, secrétaire générale de l'Association internationale de sémiotique, puis rédactrice adjointe de la revue Semiotica. Elle est également psychanalyste et professeur à l'université de Paris-VII et dirige le centre Roland Barthes.

 

On peut distinguer deux périodes dans son œuvre. La première, exclusivement théorique, s'emploie à définir l'espace de la littérature et les structures qui lui sont propres. Dès son premier livre, Sèméiôtikè. Recherches pour une sémanalyse (1969), Kristeva s'interroge sur le surgissement du texte littéraire ou poétique à l'intérieur du champ historique et social, c'est-à-dire aussi à l'intérieur du langage, mais travaillant contre lui, voulant le rompre (Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé), le transformer (Joyce, Artaud, Céline) ou, plus radicalement encore, le détruire (Sollers, Guyotat). « La littérature, écrit Kristeva, est cette pratique entre toutes énigmatique, archaïque face au déluge audiovisuel, et pourtant si puissante si on y lit ce qu'elle est ; l'unique, l'impossible nomination qui fait être toute expérience subjective en son état d'infini. » Pour dégager la spécificité du texte littéraire, Kristeva s'aide du marxisme — auquel elle emprunte les concepts de « pratique » et de « production » —, de la psychanalyse — notamment parce qu'elle affirme une dérive du sujet par rapport à son propre discours et détermine une nouvelle instance : l'inconscient —, de la linguistique enfin, et plus précisément de la sémiologie, mais en y introduisant de nouveaux concepts tels que l'intertextualité (ou redistribution de la langue par le texte), la signifiance (ou irréductibilité du texte à la représentation et à la communication), la distinction entre phéno-texte (« phénomène verbal tel qu'il se présente dans la structure de l'énoncé concret ») et géno-texte (qui « pose les opérations logiques propres à la constitution du sujet de l'énonciation » et « où les signes sont investis par les pulsions »). Influencée par Bakhtine (qu'elle a grandement contribué à introduire en France) et son affirmation de la polyphonie romanesque et d'une « écriture-lecture », Julia Kristeva se livre à une véritable ouverture de la sémiologie classique afin de penser pleinement « l'objet-littérature ». Abandonnant le seul patronage de la linguistique, elle veut, comme Barthes, lire dans le texte plus qu'un sens unitaire et « savoir comment le sujet se déplace, se dévie et se perd lorsqu'il énonce » (Barthes). Dans cette voie-là, Kristeva étudiera dans La Révolution du langage poétique (1974) la constitution du langage poétique par rapport au code social général qu'est, structurellement, le langage communicationnel. Dans Polylogue (1977), elle analysera diverses pratiques de symbolisation : de la plus simple, la langue, en passant par la peinture de la Renaissance (Giotto, Bellini) et la littérature moderne (Artaud, Joyce, Céline, Beckett, Bataille, Sollers), jusqu'à leur étude et leur interprétation par les sciences humaines.

 

Après différentes participations à des ouvrages collectifs (La Traversée des signes, 1975, et Folle Vérité, 1979), Kristeva semble opter pour un nouvel axe de réflexion, moins scientifique et plus « philosophique », en publiant trois ouvrages centrés chacun sur un thème particulier : Pouvoirs de l'horreur (1980), Histoires d'amour (1983) et Soleil noir, dépression et mélancolie (1987). S'appuyant toujours sur les œuvres littéraires et les grands systèmes de pensée des XIXe et XXe siècles, ainsi que sur les récits de ses patients et de ses patientes, ces essais se cristallisent autour de questions existentielles fondamentales : le mal, l'amour, le spleen. Questions qui mettent fortement, chacune à sa façon, le sujet en péril. Mais l'art reste, affirme Kristeva, un moyen d'exprimer, et donc d'échapper en partie, à nos phobies, nos abandons, nos détresses.

 

Dans Le Temps sensible (1994), sous-titré « Proust et l'expérience littéraire », Kristeva propose une lecture psychanalytique d'À la recherche du temps perdu, qui s'appuie notamment sur la lecture des manuscrits et des brouillons. Par ailleurs, elle s'essaie un temps au roman (Les Samouraïs, 1990 ; Meurtre à Byzance, 2004) avant de se lancer dans une ambitieuse suite, Le Génie féminin, composée de trois parties : Hannah Arendt (1999), Mélanie Klein (2000), Colette (2002). Si la forme en est différente et emprunte à la fois au roman et au traité, on peut considérer que Thérèse mon amour (2008, sur sainte Thérèse d'Avila) se situe dans cette perspective.

 

 

 

François POIRIE

Encyclopaedia Universalis 2013


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