Benoît XVI

Bernini, Catholicisme Romain

Bernini, L'extase de Sainte Thérèse, chapelle Cornaro de l’église Sainte-Marie-de-la-Victoire, Rome, détail

La visite de Benoît XVI est de toute évidence un pas important dans cette politique de l’Eglise catholique qu’on désigne d’un néologisme : l’inculturation. Depuis Paul VI et Jean Paul II, ce terme indique une évangélisation adaptée à la diversité culturelle qui ne cesse de s’accentuer dans le monde globalisé. Il s’agit d’une dialectique subtile : comment ne pas céder sur la lettre et l’esprit du message catholique, tout en tenant compte aussi bien des civilisations émergentes et de leurs religions, que des avancées de la sécularisation. L’expérience de Jean Paul II est une mise en pratique magistrale de l’inculturation catholique. L’évêque de Cracovie a si bien compris (dirais-je : inculturé ?) les intellectuels polonais, dissidents assoiffés de liberté, ainsi que les dockers de Gdansk, que Solidarnosc est devenue le fer de lance du processus qui devait provoquer l’effondrement du Mure de Berlin.


Dans le contexte du « heurt des religions » qui s’en est suivi, avec la persistance de la rigueur biblique et face à la recrudescence des intégrismes islamiste mais aussi évangéliste, l’inculturation de Benoît XVI semble suivre plusieurs voies.


D’une part, en consolidant les fondamentaux de la foi catholique, jusqu’à revenir sur certains points à la tradition d’avant Vatican II, il semble favoriser une Eglise qui saurait tenir tête aux divers fondamentalismes, - tout en envoyant aux peuples du monde cette parole de charité et de consolation universelles qui spécifie la foi chrétienne.


D’autre part, en ciblant avec une énergie appuyée les risques de la liberté que court selon lui la sécularisation, cet admirateur et interprète de Mozart laisse paradoxalement entendre que la culture laïque moderne est condamnée au déclin, et que l’avenir de l’inculturation catholique se joue sur d’autres continents.


Pourtant, lorsqu’il s’exprime dans cet espace de recherche et de rencontre qu’est le Collège des Bernardins tout récemment créé, Benoît XVI pratique une autre inculturation catholique. La sécularisation est un enfant rebelle du christianisme, semble-t-il dire, par lequel il n’est pas exclu de se faire entendre, avec lequel il importe de s’entendre.


Aucun doute que ce discours très attendu vendredi aux Bernardins sera un subtil équilibre entre ces diverses voies d’inculturation catholique, à laquelle Benoît XVI a maintes fois montré qu’il tient fermement dans le contexte de la globalisation galopante.

Pour les non-croyants et les humanistes, cet évènement peut-il être un défi salutaire ? En effet, attentif à ses antécédents grecs et à la fondation juive, l’humanisme a longuement dénié ses liens conflictuels avec la tradition catholique. Le « fil » avec les dogmes religieux et notamment aves ceux de la foi chrétienne est bien sûr définitivement « rompu », Hannah Arendt après Tocqueville l’ont dit suite à l’œuvre des Lumières. Avec et par delà cette rupture, un nouveau mouvement est cependant en cours désormais, désireux de reconnaître ce que nous devons au continent catholique, à sa philosophie, sa morale, son esthétique, dont notre rupture est l’héritière rebelle, mais avec devoir d’anamnèse. Aucune autre tradition n’a engendré cette liberté inouïe dont se réclament les Lumières européennes et les Droits de l’homme. Pourquoi ? Comment ? Cessons de nous plaindre que les civilisations sont mortelles, et de chercher désespérément des interdits et des croyances de substitution. La transvaluation du catholicisme est une tâche historiale à laquelle l’adresse de Benoît XVI invite implicitement ceux qui osent penser qu’il est urgent de l’entreprendre.


Exemples ? Loi (biblique) et amour (christique) à la place des « deals » techniques et des « oukazes » meurtriers : les besoins diffus de spiritualité les réclament. Révolution baroque des sens et des langages, en précurseur des Lumières, contre le refoulement puritain et sa jumelle, l’industrie du hard-sexe : elle nous interpelle aujourd’hui. On dit qu’il n’y a plus de repères, que le monde manque d’Autorité ? Et s’il n’y avait pas d’autre Autorité que de reconnaître la mortalité qui est à l’œuvre dans le sujet parlant- comme le fait la passion christique jusqu’à faire mourir Dieu lui-même dans la kénose…. et que Freud nous invite à analyser en débusquant la pulsion de mort en doublure de l’érotisme dont se repaissent les amateurs du spectacle médiatisé ? Quand le féminisme s’inverse en ruée vers les mères porteuses et autres envies effrénées de procréation à tout prix, pouvons-nous prendre conscience que nous sommes la seule civilisation qui manque de discours sur la vocation maternelle ?

A l’écoute de Benoît XVI, l’humanisme sécularisé a une chance de repérer les lacunes et les échecs qui accompagnent ses avancées, afin de clarifier et ajuster ses réponses aux pièges de la liberté. N’ayons pas peur de ce message d’inculturation, recevons-le dans le souci d’affiner nos différences indiscutables et nos complicités éventuelles face aux nouvelles barbaries. Car dans le monde globalisé, il n’y a plus d’universel uniforme et absolu, mais des diversités culturelles qui se doivent attention et respect. Sachons écouter, peut-être nous entendre.

 

Julia Kristeva

échange avec le journal La Croix, du 10-11 septembre 2008

 

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