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PARlONS-EN

TRIBUNES -  L’Humanité du 3 Mai 2013

 

D’Antigone à Benoît XVI : portrait chinois de Julia Kristeva, philosophe, psychanalyste, sémioticienne, écrivaine.

  Julia Kristeva Pulsions du temps

 

Pulsions du temps, de Julia Kristeva. Éditions Fayard, 799 pages, 28 euros. 

 

Le lecteur pourra trouver autant d’invitations 
à la lecture des jalons de l’œuvre de Julia Kristeva dans cette recension de conférences, 
hommages, articles de revues, tribunes de presse prononcés ou publiés de 1986 à 2012. Pulsions du temps se lit aussi comme le recueil d’une pensée protéiforme, fertilisée par le croisement de la psychanalyse avec la philosophie, la sémiotique et de grands enjeux du siècle.

 

L’ouvrage est encore 
le portrait chinois d’une « femme d’origine bulgare, 
de nationalité française, citoyenne européenne 
et d’adoption américaine » qui définit ainsi
 sa « place » au monde. On retiendra de ce 
manifeste intime le premier mot, le plus évident 
et qui, pourtant, ne va pas de soi.

 

De ses livres, Sens et non-sens de la révolte 
à Thérèse mon amour en passant par la trilogie du Génie féminin, soit Colette, Arendt, Klein, Thérèse d’Avila, ou encore les figures d’Antigone, de Beauvoir, et, plus régalant ici, le portrait de Sarah Palin, Julia Kristeva a creusé et creuse l’interrogation sur le féminin, sur la « passion maternelle » et « l’érotisme maternel » pouvant aussi bien ouvrir sur les bébés congelés que sur « l’amour de l’autre » et 
la transmission de la « langue maternelle », emprise 
sur le « fruit de ses entrailles » ou « dépassionnement » de cette emprise, démixtion de la pulsion de mort 
ou sa liaison avec l’Éros.
 L’éternel affrontement qui nourrit jusqu’au « malaise dans la civilisation », toujours d’actualité, permet 
de tirer un autre fil de cette constellation. Il pourrait être celui d’une « main tendue » du XXIe siècle, 
qui ne peut nous laisser indifférents, en tout cas, c’est 
ainsi que le tisse Kristeva. D’une position humaniste – voir ses pages sur Rousseau par exemple – réaffirmant l’héritage des Lumières mais le réancrant dans celui, grec et judéo-chrétien, de notre culture, et revenant sur la révolution baroque, elle se pose au « carrefour redoutable » de la politique et de la religion qui pose 
le « défi de notre temps » : « Maintenir la séparation 
de ces deux univers tout en interrogeant 
leur voisinage et leurs interférences ».


 

On découvrira ici tout un pan actif de dialogue contemporain avec la religion, catholique au premier chef, de Jean-Paul II à Benoît XVI. « Avec nos différences et oppositions irréductibles, il importe de mieux interpréter les croyances des uns et les recherches des autres pour éviter aussi bien l’évangélisation agressive (qui suscitera de nouvelles guerres, forcément religieuses) que l’universalisme naïf et banalisant (qui s’autodétruira sous la pression des fanatismes tout autant que sous les implacables lois du marché virtualisé par la technique ). » Éloge exigeant de la culture française, retour dans la Chine 
de la mondialisation s’ouvrant aux sciences humaines 
et à la psychanalyse, Pulsions du temps renferme 
la visée à débattre tout autant d’un nouveau contrat social : « Si nous ne sommes des sujets libres qu’en tant qu’étrangers à nous-mêmes, il s’ensuit que le lien social devrait être non pas une association d’identités, mais une fédération d’étrangetés. »

 

Michel Guilloux

 

 


 

 

 

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