Monaco, le Prix de la Principauté 2021 a été décerné à Julia Kristeva
Décerné conjointement avec les Rencontres Philosophiques, le Prix de la Principauté 2021 a été décerné à Julia KRISTEVA le 12 octobre lors de la Cérémonie de proclamation des Prix de la Fondation Prince Pierre.
Altesse Royale,
Chère Charlotte,
Mesdames et messieurs de la Fondation Prince Pierre et des
Rencontres Philosophiques de Monaco,
Chers collègues et amis,
Le prestigieux prix de la principauté de Monaco que je reçois
aujourd’hui m’honore et me bouleverse pour plusieurs raisons, dont je ne
retiendrai que la principale. Votre récompense s’adresse à une européenne
convaincue qui essaie d’inscrire dans la langue française la vivacité de la
culture européenne. Cette langue française, cette culture européenne rayonnent
si bien dans les liens particuliers, et l’amitié traditionnelle unissant la
France et la principauté, qu’elles incarnent – que vous incarnez – le rêve
européen et nous invite – vous nous invitez – à y croire.
Venant de vous, de votre vocation historique et géographique,
spirituelle et politique ce prix m’encourage à développer deux dimensions qui
me préoccupent en cette période de ma vie et dans le contexte de l’incertitude
globale : le besoin de croire qui sous-tend le sacré ; et la capacité
des femmes à refonder les valeurs dont a besoin l’accélération anthropique en
cours.
Permettez-moi ce bref rappel de mes débuts de
linguiste : « croire » remonte à la racine sanskrite *kred par laquelle le fidèle signifie qu’il donne son cœur à une divinité dont il reçoit en récompense
le temps : reconnaissance, protection et éternité. Dans les langues slaves *kred (devenu credo ou crédit dans les
langues latines) a donné *srad/•strad en insistant sur
la souffrance dans l’épreuve inhérente à l’investissement de l’altérité absolue.
Mon dernier livre Dostoïevski face à la mort, ou le sexe hanté du langage (Fayard, octobre 2021) se propose de décrypter le sous-sol de l’âme européenne
pour penser ses démons et ses crimes parmi lesquels le féminicide, la
pédophilie et le nihilisme auxquels les démocraties modernes peinent à
répondre.
Quant à la question féminine, ni opposition binaire qui
perpétue la guerre des sexes et encore moins son effacement dans le genre,
j’essaie d’élucider le féminin comme une capacité de se transformer (à ne pas
confondre avec l’adaptation et la résilience) accompagnant ainsi et stimulant
les transformations des sociétés et des civilisations.
Merci de soutenir ces impératifs et d’éclairer ces horizons,
et grand merci encore pour votre générosité et votre confiance.