
                   
                  Réussir là où le pervers s’épuise
                    
                  
                  
                     
                  
                  Un temps, Apollinaire
                    qualifia Colette de « perverse », mais il retira l’adjectif pour lui
                    préférer celui d’espiègle (« une âme plus espiègle que perverse »),
                    et n’hésita à comparer son audace provocante à l’impudeur tragique des
                    premières chrétiennes : « C’est ainsi que, délivrées de la pudeur, les
                    martyres romaines entraient dans le cirque. » Quoi qu’il en soit, pour le
                    poète, cette moderne a beau respecter la grammaire,
                    elle se disperse dans trop d’activités et multiplie trop les ambitions pour
      égaler une Sévigné !
                        
                      
                  Perverse,
                    Colette ? Certainement, un peu, pas du tout. Elle écrit là où le pervers
                    jouit : telle est sa réussite, bien au-delà de la peine dont elle se
                    plaint et qui épuise le pervers. Les passages à l’acte pervers jalonnent sa vie
                    : de Willy en passant par Missy et jusqu’à Bertrand.
                    Mais elle les a métamorphosés : d’abord en se servant de certains d’entre
                    eux comme d’une auto-analyse, en les vivant-et-méditant dans son écriture où
                    ils finissent par acquérir leur réalité définitive, une néo-réalité fictive, éloignée du réel, menteuse et sublime. Dans l’écriture, cette
                    « méditation », ne bénéficie pas de ces interprétations qui parviennent à détacher le sujet de ses
                    acting-out lors d’une thérapie ou d’une analyse, mais se donne d’emblée irisée
                    de sensations et réalisée dans une formulation-sublimation stylistique avec
                    laquelle elle se confond. Dans cette perspective, l’écriture elle-même nous
                    apparaît comme un objet fétiche, une sorte d’objet pervers, mais redoublé,
                    déplaçant d’un cran encore le déplacement qu’opère le fétiche stricto sensu : déplacement du
                    déplacement, transfert du plaisir depuis la sexualité dans toutes les
                    sensations et, simultanément, dans tous les mots.
                    
                  
                  La jouissance
                    autre, que Colette appelle « Sido », est au cœur de ce retournement de la perversion en sublimation,
                    de telle sorte que la perversion elle-même s’y résorbe et, sans disparaître,
                    s’y recueille comme pureté. Dans certaines circonstances, l’homme autant que la
                    femme sont capables de cette jouissance autre, et on connaît des écrivains qui
                    y excellent : Proust, Joyce, Nabokov, pour ne citer que quelques auteurs
                    modernes. A moins que cette féminité-là, si elle est spécifique à la jouissance
                    autre, ne soit aussi le secret de toute écriture : sa « lettre
                    volée », avons-nous dit.
                    
                  
                  D’ailleurs,
                    Colette ne se revendique pas spécialement « femme », encore moins
      « féministe ».
                        Mais une version féminine de l’angoisse de séparation (que pourrait partager
                        tout aussi bien l’homme identifié à sa mère) se fait jour chez elle, par
                        l’identification et le déni : puisque nous sommes « mêmes », je ne
                        « te » perds pas, je jouis de la mère, je suis la mère qui jouit, donc je
                        suis Tout par mon texte sensible qui refait la chair du monde. En d’autres
                        termes, le rapport féminin à l’angoisse de séparation qui sous-tend les
                        comportements pervers est tel que le contenant maternel (Sido, le jardin, la
                        flore et la faune qui comblent la mère-nature), inséparable de la langue
                        maternelle, se trouvent subtilisés, possédés. Mère et langue sont en définitive portées au sublime avec une grâce
                        complice, dans laquelle la cruauté de la possession se mue en sérénité
                        pacifiée, atteignant le statisme immuable des Éléates.
                        
                      
                  Les mouvements
                    des passions sont là, mais ils se tiennent comme aux bords du texte, pré-textes éphémères de l’extase. Demeure le centre
                    inamovible, l’axe qui ne bouge pas, Sido : personnage ? modèle ? archétype
                    ? ou frontière exquise entre la mère et la langue ? Sido est la
                    désignation de l’espace imaginaire lui-même, clairière au-delà du passage à
                    l’acte pervers, qui permet de nommer les plaisirs désormais permis, avouables,
                    partageables. « Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui
                    qui perd sa passion », écrit saint Augustin. Perdue dans ses passions,
                    Colette ne se perd elle-même nullement, puisque, justement, elle n’a jamais
                    perdu la passion fondamentale, nommée Sido. Elle se tient sur la crête même où
                    les choses s’élèvent en mots, où les mots ressentent les choses, et vice versa,
                    et qui nous apparaît comme l’aurore de l’hominisation, le secret des humains.
                    Perversion ? Sublimation ? Ces termes, et surtout leur intrication
                    que dévoile la psychanalyse, ne sont que des marches qui nous font cheminer
                    dans l’aventure du sens sensible. A condition de ne pas les enfermer dans la
                    pathologie, mais d’y reconnaître ce que la sexualité dans ses excès a de
                    spécifiquement humain.
                    
                  
                  D’autant que la
                    psychanalyse, du moins dans ses développements les plus soucieux de vérité, se
                    départit aujourd’hui de la normativité qui entache ses notions fondamentales
                    — notamment celle de perversion — et considère nombre de
                    comportements « pervers » comme des passages obligés jalonnant une
      construction complexe de la personnalité.
                        L’assouplissement des interdits dans certaines sociétés contemporaines a exposé
                        au premier plan de la scène sociale et médiatique des comportements qui, bien
                        que perçus comme pervers, ne sont ni culpabilisés ni prohibés, et s’intègrent
                        de plus en plus dans les mœurs, dans la législation elle-même et, plus
                        généralement, dans une compréhension élargie de la libre personnalité.
                        
                      
                  La bisexualité,
                    tant revendiquée par Colette, en fait partie. Plusieurs cures démontrent que
                    des relations homosexuelles qui adviennent dans la vie d’une personne ne se
                    considérant pas nécessairement homosexuelle, soit en cours d’analyse dans le
                    transfert avec son analyste, soit indépendamment d’elle, font apparaître une
                    dissociation entre identité masculine et identité féminine du sujet, ce qui est
                    un trait courant mais refoulé chez la plupart d’entre nous. Lorsque la relation
                    génitale avec un partenaire de l’autre sexe ne s’accompagne pas d’un véritable
                    abandon affectif, le sujet qui en éprouve la carence peut rechercher et
      accomplir un « orgasme du moi »
« moi-promiscuité »
                            avec une personne du même sexe. Ce lien affectif intense qui prend l’allure
                            d’une homosexualité plus ou moins sublimée conduit, de fait, le sujet dissocié,
                            à partir de son amour pour un partenaire du même sexe, au souvenir de
                            l’identification primaire avec l’objet d’amour infantile. En tant qu’expérience
                            régressive, cet attachement peut comporter le risque de dissolution de soi et
                            de confusion avec l’objet d’amour. Mais aussi et à l’inverse, si ces risques
                            sont écartés et que le moi est suffisamment fort (par exemple, à partir d’une
                            forte confiance-identification avec Sido !), il peut se produire, dans
                            cette confiance amoureuse avec un partenaire homosexuel ou incestueux, quelque
                            chose qui dépasse l’expérience de sublimation instinctuelle et que Winnicott
                            appelle un « orgasme du moi » assimilable à l’extase. On saisit la
                            différence entre une sublimation bordée de perversion d’une part, et cet
                            « orgasme du moi » de l’autre, si l’on compare le jeu surexcité d’un
                            enfant qui s’amuse tout en s’épuisant (au point que les parents doivent lui
                            donner une fessée pour produire l’acmé et « calmer le jeu »), avec un
                            autre jeu, heureux celui-ci, dans lequel l’enfant ne se sent pas menacé par un
                            orgasme physique d’excitation locale, et qui peut être comparé à la détente
                            éprouvée lors d’un concert. Certaines relations, apparemment perverses parce
                            que mobilisant la bisexualité ou des pulsions incestueuses, comportent ce genre
                            d’extase du moi. L’excitation sexuelle locale y est souvent présente, elle
                            demeure sous-jacente ou, au contraire, elle est déniée ; mais elle peut
                            aussi s’effacer complètement et faire place à cet abandon affectif primaire à
                            l’autre. Dans de telles situations, un analyste devrait s’abstenir
                            d’interpréter ces comportements comme homosexuels et pervers, au risque de
                            précipiter le patient (qui entendrait de telles interprétations comme des
                            recommandations) dans des pratiques compulsionnelles homosexuelles ou
                            incestueuses.
                            
                          
                  Nous pouvons
                    comprendre la bisexualité de Colette ainsi que ses passages à l’acte pervers de
                    la même façon. Elle-même le suggère discrètement : dans ses rapports avec
                    Willy, l’acte génital normatif, de surcroît accompagné de blessures
                    narcissiques, ne lui apportait probablement qu’une quasi-satisfaction. Aussi
                    « la catastrophe amoureuse, ses suites, ses phases », commence-t-elle
                    par dénier avec force, ne font pas partie de « l’intimité d’une
                    femme ». D’ailleurs, en divulguant ces « demi-mensonges » (comme
                    Colette l’a fait elle-même !), la femme « sauve de la publicité des
                    secrets confus et considérables, qu’elle-même ne connaît pas très bien »,
                    enfouis comme ils sont dans « le même secteur féminin, ravagé de félicité
      et de désordre, autour duquel l’ombre s’épaissit ».
                        Ces ravages-là purent être compensés par la possibilité de s’abandonner
                        affectivement à autrui en passant par le détour de la perversion (homosexuelle,
                        incestueuse). Grâce à elle et après elle, Colette acquiert la capacité d’être
                        seule : celle de l’extase dans une solitude extrême, quoique relative puisque
                        l’écrivain sollicite sans cesse ses amis, s’appuyant sur le « meilleur »
                        d’entre eux, mais elle ne sombre plus jamais dans une dépendance dramatique.
                        Qu’elle qu’en pût être la vigueur réelle, l’importance que revêtent ces
                        passages à l’acte (homosexualité avec Missy,
                        sexualité incestueuse avec Bertrand) s’avère — avec le recul du
                        temps et par le destin littéraire que Colette a su leur donner —
                        passagère et, à tout prendre, moindre que la complétude affective qu’ils
                        apportaient, que l’orgasme du moi qui les accompagnait, que l’extase ressentie
                        comme un remaniement de la relation maternelle, lui-même indissociable de sa
                        mise en mots : bref, comme « Sido ».
                        
                      
                  Mais peut-on
                    vraiment suivre Winnicott lorsqu’il constate que, chez certaines personnes (il
                    sous-entend : dotées de moindre intensité pulsionnelle) et dans certaines
                    circonstances familiales (optimales ?), la sublimation instinctuelle est
                    simplement remplacée par cet orgasme
                    du moi qui équivaut à une extase ? Au contraire, il semble plus
                    vraisemblable, et l’expérience de Colette témoigne dans ce sens, que la
                    satisfaction sexuelle (c’est-à-dire l’expérience sexuelle de l’excitation
                    érotique dans le passage à l’acte) et son éventuelle sublimation accompagnent l’orgasme désexualisé du moi. Ainsi, cet accompagnement, ce duo
                    sexualité/désexualisation se poursuit à des degrés variables et tout au long de
                    la vie de Colette, avant que le jeu pur n’en prenne le relais définitif. C’est alors seulement que l’écrivain, comme
                    les dames de Llangollen, dans Le Pur et l’Impur, n’est d’aucun sexe, car elle est de tous les
                    sexes, celui des fleurs, des chats, des papillons...
                    
                  
                  Le terme de
                    perversion et quelques allusions à ses variantes apparaissent très tôt sous la
                    plume de Colette : elle les médite, les accepte ou rejette, mais pour
                    mieux les évider.
                    
                  
                  
                     
                  
                  « Psychopathia sexualis » et mélancolie selon... Colette
                    
                  
                  
                     
                  
                  Dès Claudine à Paris (1901), et très
      probablement sous l’influence de Willy, Colette fait référence à Krafft-Ehring, auteur de la célèbre Psychopathia sexualis (1886),
                        livre qui a nourri la réflexion de Freud lui-même et reste une bible en la
                        matière. Le nom du célèbre aliéniste est cité dans l’évocation d’un ouvrage
                        italien, Amicizie di Collegio,
                        relatant les diverses homosexualités présentes dans les collèges, et qui devait
                        être commentée par La Revue en1902 : « Cet enfant me parlait d’une amusante étude psychologique
                        consacrée par un de ses compatriotes aux Amicizie di Collegio que ce Krafft-Ehring transalpin définit, paraît-il, “un mimétisme de
                        l’instinct passionnel”, car, italiens, allemands ou français, ces matérialistes
écœurante morticolore imbécillité. »  L’homosexualité était un thème à la mode
                            dans les milieux littéraires et artistiques de l’époque, et Colette fréquentait
                            de nombreux adeptes de Sodome qui ont pu influencer la création du personnage
                            de Marcel (dans Claudine à Paris et
La Retraite sentimentale) : Boulestin, Jean Lorrain, De Max, ou le marquis d’Adelsward-Fersen.
                                Une déculpabilisation totale de la perversion est en cours chez elle, qui
                                s’exprimera dans Ces plaisirs... repris en Le Pur et l’Impur (1932) :
                                « Vit-on de tiédeur ? Pas mieux que de vice, et ce dernier n’y perd
. »
                                    
                                  
                  A côté de
                    l’homosexualité, c’est une jouissance féminine secrète, à objet
                    interchangeable, éperdue d’innocence et de solitude, qui fascine Colette :
                    elle l’incarne notamment dans le personnage d’Irène, la « femme
                    cachée », qui fuit son mari non pas pour le trahir avec quelqu’un d’autre,
                    mais pour se livrer, masquée, à une ivresse auto-érotique, ravageuse, avec
                    divers partenaires anonymes, avec « personne ». — « Il
                    était sûr à présent qu’Irène ne connaissait pas l’adolescent, ivre de danse,
                    qu’elle embrassait, ni l’hercule, il était sûr qu’elle n’attendait ni ne
                    cherchait personne et qu’abandonnant comme un raisin vide les lèvres qu’elle
                    tenait sous les siennes, elle allait repartir l’instant d’après, errer encore,
                    cueillir quelque autre passant, l’oublier, et goûter seulement, jusqu’à l’heure
                    de se sentir lasse et de rentrer chez elle, le monstrueux plaisir d’être seule,
                    libre, véridique dans sa brutalité native, d’être l’inconnue, à jamais
                    solitaire et sans vergogne, qu’un petit masque et un costume hermétique ont
      rendue à sa solitude irrémédiable et à sa déshonnête innocence. »
                        Cette superbe description de la jouissance
                          autre nous est donnée par une Colette qui précède ici Freud et Lacan avec
                        les moyens de la fiction : mais sainte Thérèse, dans ses extases, ne
                        l’avait-elle pas déjà découverte bien avant ?
                        
                      
                  Pourtant, c’est
      l’inceste qui semble intéresser fondamentalement notre auteur :
                        après Chéri et Le Blé en herbe, elle l’avoue presque dans La Naissance du jour. Faut-il rappeler l’arrière-plan de ces
                        textes, tel qu’il a été reconstitué par Bertrand de Jouvenel lui-même :
                        « Toutefois, le climat de scandale qui nous entourait devait à la fin nous
                        séparer. Y a-t-il de belles séparations ? […] Les plaisirs qu’elle me
                        donnait étaient tous ceux que procure l’ouverture sur le monde, que je lui
èrement »
                            Leur lien est un scandale, mais il ouvre sur le monde, selon les dires du
                            principal protagoniste de cette initiation. Est-ce parce que Colette y assume
                            le rôle d’une actrice de ce plaisir qui est aussi une délivrance ? Si elle
                            est la mère incestueuse, elle n’en est pas moins celle qui effectue une
                            « mise au monde » de Bertrand... et probablement aussi d’elle-même.
                            
                          
                  Le fantasme
                    incestueux, nous l’avons dit, précède la réalité de la relation entre Colette
                    avec le fils que son mari avait eu de Claire Boas. Le personnage de Léa n’est
                    pas dupe de la nature de la relation qu’elle entretient avec Chéri, le
      « nourrisson méchant » qu’elle a « adopté. »
                        
                      
                  On notera que
                    Colette, mère déjà d’une petite fille de sept ans, décrit dans ses romans un inceste avec un garçon : elle aimait à louer les traits masculins de sa fille,
      sa robustesse plutôt que sa séduction, avant que la présence de Maurice Goudeket n’éloigne progressivement les deux femmes.
                        Inceste-adoption, peut-être, mais l’inceste avec Bertrand n’en constitue
                        peut-être pas moins, à ses yeux, une vengeance qui l’apaise. Comme le fut le
                        lien Chéri-Léa ? « Une longue habitude l’un de l’autre les rendait au
éri à la veulerie et Léa à la sérénité. »
                            L’aventure incestueuse révèle, selon Colette, la radicale étrangeté des deux
                            amants : en transgressant le tabou fondamental, ils ne peuvent,
                            semble-t-il, assimiler leur culpabilité que comme une « inquiétante
                            étrangeté ». « C’est rigolo, confiait-elle, à la fin de cet été de
                            mil neuf cent six, à Berthellemy-le-Desséché, il y a
ùje crois que je couche avec un nègre ou un Chinois. »
                                « Mais nul aveu ne montait de la bouche arquée, et guère d’autres paroles
                                que des apostrophes boudeuses ou enivrées, avec ce nom de “Nounoune”,
                                qu’il lui avait donné quand il était petit et qu’aujourd’hui il lui jetait du
                                fond de son plaisir, comme un appel au secours. » Et elle ajoutait
                                   : « Je ne peux pas t’expliquer : nonchalante et malhabile à
                                définir l’impression, confuse et forte, que Chéri et elle ne parlaient pas la
ême langue. »
                                    
                                  
                  Très
                    auto-analytique aussi, dans la fiction, ce repère de l’ombre de la mort qui plane
                    sur les amants, à ceci près que son obsédante présence est due moins à la
                    différence d’âge entre les deux partenaires qu’à la violence inconsciente
                    projetée par leur couple sur le couple parental, ce dernier étant condamné à
                    mort par la logique même de l’inceste  « Pardonne-moi, Chéri :
                    je t’ai aimé comme si nous devions, l’un et l’autre, mourir l’heure d’après.
                    Parce que je suis née vingt-quatre ans avant toi, j’étais condamnée, et je
      t’entraînais avec moi... »
                        Et jusqu’à La Seconde (1929), Colette
                        reste hantée par ce thème de l’inceste imaginaire entre beau-fils et
                        belle-mère, qui perdure en filigrane sous le thème principal de ce roman centré
                        sur la complicité homosexuelle sublimée, ou du type « orgasme du
                        moi », entre les deux femmes, l’épouse Fanny et la maîtresse Jane du
                        « Grand Farou » : « Elle
                        manifestait à son beau-fils une bienveillance moins particulière
’universelle, choyant en lui une émanation mystérieuse du Grand Farou. »  
                            
                          
                  Dans la même
                    veine, notons un article de Colette sur une pièce de théâtre qui met en scène
                    l’inceste entre un père et sa fille finalement parricide : « Dans la
                    salle de l’œuvre, au premier entracte, j’écoutais le Pur dialoguer avec
                    l’Impur : Sujet infiniment pénible... L’inceste paternel... Franchement,
                    on aurait pu nous épargner ça... — Pourquoi ? Est-ce que c’est
                    tellement grave, qu’un père convoite sa fille ? Dans la nature... Et je ne
                    m’ennuyais pas, parce que je crois que
              Pur et Impur mentaient tous deux. »
            Le texte précède le personnage du sieur Binard, introduit en 1936 comme une pièce majeure de cette investigation du « pur et de
                            l’impur » qui s’étend bien au-delà du recueil auquel elle donnera ce titre
                            en 1941. Faisant écho aux opinions de Sido, Colette insinue que, dans l’univers
                            animal auquel appartiennent les « antilopes », c’est-à-dire les
                            filles du père Binard, le crime de l’inceste n’en est pas un. Pourtant,
                            l’univers des antilopes n’était-il pas celui bien humain, en définitive, que
                            soignait son frère Achille... Ce n’est pas grave qu’un père convoite sa
                            fille ; ce l’est encore moins si la convoitise vient de la mère, puisque
                            telle est la violence du désir humain, sa vérité inhumaine. L’écrivain
                            n’exprime ni regrets ni remords. Monstrueuse, Colette ? Ou, plutôt, déroutantes
                            vérités révélées par une expérimentatrice sans gêne ?
                            
                          
                   
                  JULIA KRISTEVA