On oublie que le vieux Dieu est mort d'ennui, à force
de gérer l'incroyable bêtise de ses créatures humaines. Le nouveau Dieu n'a rien
d'humain, et choisit ses croyants par révélation personnelle, en leur offrant,
par là même, une Deuxième Vie. Ces révélations se font soit par illuminations
soudaines, soit à travers des expériences multiples, dont la maladie. Le
nouveau Dieu guérit, il prévient, il sauve, il est là quand on ne l'attend pas,
inutile de l'appeler, il ne répond pas. Il peut surgir d'un rayon de soleil ou
d'un léger coup de vent. Grâce à lui, je sais que ma Deuxième Vie fonctionne.
***
Si j'en crois la Théologie, j'ai droit, après ma résurrection,
à un Corps Glorieux, dont je connais les principaux caractères : impassibilité,
clarté, agilité et subtilité. J'ai beaucoup travaillé sur l'impassibilité dans
ma première vie, à cause de la maladie. La clarté me paraît naturelle,
l'agilité est ma spécialité, la subtilité me permet de traverser sans effort toutes
les matières dures et brûlantes.
***
Maintenant, j'approche du trou noir qui occupe le
centre de notre galaxie. J'ai donc parcouru, en quelques secondes, une distance
de 27 000 annéeslumière, et je peux vérifier
l'exactitude des photos télescopiques qui ont réussi à le trouver, ce trou,
comme un point minuscule du ciel, avant de suggérer
son immensité captivante qui ne laisse échapper aucune lumière. On ne peut le
voir, ce trou, qu'en ombres chinoises, par contraste sur un fond lumineux,
celui du disque de gaz et de poussière, chauffé à blanc, gravitant autour de
lui à une vitesse folle. Il a fallu plus de dix ans pour obtenir l'image d'un
objet lourd comme 4 millions de masses solaires, qui apparaît inobservable,
avec un pourtour orangé. Je suis heureux d'être contemporain de cet événement,
dont j'ai sans doute rêvé à l'âge de 7 ou 8 ans, période où un garçon sensible
et paranoïaque s'intéresse de près à la fin du monde.
Ph.S.
Picasso, L'Étreinte, (1969), détail.
Postface
LE VIVACE AUJOURD'HUI
Julia Kristeva
Un Sollers inconnu ou méconnu se révèle dans cette
fugue méditative que vous venez de lire. Ayant vécu une ou plusieurs morts, le
Blanc terminal – mais joueur – développe une Deuxième Vie. « Pensée en acte »
et défi à la « société finale », elle éprouve le néant en soi pour éclairer le
monde, tel un soleil noir sur fond lumineux, image inachevée de la matière
noire.
/…/
Partir pour la Suisse ? Sollers y renonce, le
« suicide n'est pas une solution »... Et
personne « n'entre » dans la Deuxième Vie. Elle est là depuis
toujours. Mais le Migrant se souvient de sa « première mort », de la
main droite de l'enfant tendue vers la Vierge Marie...
Toujours sur deux fronts : première vie,
Deuxième Vie. Pour mieux continuer à mener La Guerre du Goût (1996)
qui brocarde « la famille et la famille sociale », Gros Animal
précipité vers sa « phase terminale ». Son arme première et ultime,
la souveraineté de la langue : « L'avantage du français, c'est sa
concision et sa commotion. Il n'est pas fait pour communiquer mais pour
abréger, juger, tuer » (Médium, 2004).
/…/
Son état s'aggrave. Lumineux regard qui prolonge la
pensée dans les combats du corps, ultime signe du sacré :
« Je pars. » L'iris marron s'assombrit, presque « outrenoir », comme dans la toujours présente Étreinte. Le blanc de l'œil disparaît, rien que l'irruption d'une énergie noire,
inhumaine, étreinte absolue. Je m'entends dire : « Avec toi ».
Philippe se tourne vers le cahier, sa voix frémit : « C'est tout,
c'est bien. On part ? » Je confirme : « On part. »
Plus tard, j'ai retrouvé cet accord déjà scellé dans L'Étoile des amants (2002).
/…/
J.K.