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Julia Kristeva - Stoitchkov -  Exposition « Football de légendes, une histoire européenne », Parvis de l'Hôtel de Ville, Paris Julia Kristeva - Stoitchkov -  Exposition « Football de légendes, une histoire européenne », Parvis de l'Hôtel de Ville, Paris


Exposition « Football de légendes, une histoire européenne », Parvis de l'Hôtel de Ville, Paris

 

Hristo Stoitchkov par Julia Kristeva
 

 


STOITCHKOV

 

Hristo Stoïtchkov, n°8 de l’équipe nationale bulgare et star du FC Barcelone, tire face au « mur de Berlin ».

Celui de la honte est déjà tombé, cinq ans avant cet instant sportif décisif. Les footballeurs en maillots blancs festonnés de jaune, rouge et noir, se dressent aujourd’hui pour barricader le but  allemand, en quart de finale de la Coupe du monde de 1994.

 Je ne suis pas familière de ce meneur de jeu rouge, mais le foot fait partie de mon enfance.  A l’époque du Rideau de fer, mon père m’emmenait tous les week-ends au grand stade de Sofia : j’étais le garçon manqué de la famille. Je m’époumonais à conspuer les « rouges », l’équipe CSKA de l’Armée (au sein de laquelle Stoïtckhov s’était formé), et m’enflammais pour les « bleus », les « nôtres », le club « Levski » - appelé ainsi en l’honneur du fameux révolutionnaire Vassil Levski, « apôtre de la liberté » qui se sacrifia dans la lutte contre l’occupation ottomane. Je sais bien que l’armée elle-même a beaucoup changé depuis, mais les « rouges » fussent-ils mieux payés et surentraînés n’ont aucune chance de « Fly Emirates », et je me demande si je dois me méfier ou espérer, devant ce coup de pied arrêté…

Les footballeurs bulgares ont déjà éliminé l’équipe de France, pour laquelle je vibre désormais. Mais en cette 74e minute du match contre les Allemands, mes ex-compatriotes bulgares sont menés 1-0 : rien que de très normal.

Le foot utilise la mâle violence explosive (qui sommeille aussi chez les femmes), mieux : il la fait virtuose. Le système nerveux est l’instrument de cette prouesse. Tel un violon, il filtre la brutalité pour l’harmoniser uniquement à l’aide de quelques cordes subtiles, tissées dans les muscles des jambes : adducteurs, pectinés, jumeaux, péroniers, biceps crural, fessiers. À eux d’accorder la nuit et le jour, de rythmer la fureur et la noblesse. De maîtriser le ballon rond conçu pour leur échapper, de le diriger et feinter face à l’adversaire, mieux placé et plus futé, ou de le plaquer au fond du filet.  Champion d’Europe en 1992, Stoïtchkov est alors au sommet de son art :  qu’en fera-t-il à ce moment crucial ? Le prodige rouge est trop impulsif, il brutalise souvent ses partenaires, insulte les arbitres, collectionne avertissements et suspensions.

Une bourrasque invisible empoigne le numéro 8 en vrille. Frappe puissante du coup du pied. De l’intérieur pour enrouler ? Appui sur le pied droit, ce sera un coup du pied gauche extérieur - le maestro est gaucher! Le mur de Berlin sera vaincu : à la 75e minute, Stoïtchkov égalise. C’est inouï ! Du grand art : oubliés les grincheux. Brusquement, les violons bulgares rejouent à l’unisson. A la 78e minute, c’est Letchkov qui marque. L’Allemagne est éliminée. La Bulgarie accède aux demi-finales de la Coupe du monde 1994. Le pays se sent européen, que dis-je, mondial !  Stoïtchkov obtient enfin le Ballon d’Or qu’on lui refusait à cause de ses outrances.

Les années suivantes voient sa carrière décliner, la presse sportive l’égratigne volontiers. L’« ingérable » buteur est aujourd’hui retourné dans son pays d’origine où il est entraîneur. 

Avec Philippe et David, je ne manque pas un match de foot. Et je repère toujours le mauvais garçon qui dope et menace l’archer du virtuose.

 

Julia Kristeva


Exposition EURO 2016 Les-legendes-du-football Hristo Stoitchkov par Julia Kristeva

 

Exposition « Football de légendes, une histoire européenne. 30 joueurs, 30 photos, 30 écrivains ».

 

 

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