Un Institut des Humanités à Paris-Diderot

Julia Kristeva

28 mars 2010

 

« Pourquoi des poètes en temps de détresse » : la célèbre formule me venait à l’esprit en préparant cette rencontre. Pourquoi des humanités en temps de détresse ? et j’ai pris la décision de l’aborder non pas du point de vue « compassionnel » évoqué ici par Jean Delabroy, mais délibérément optimiste. Pour ce faire, je n’utiliserai pas le microscope que mes collègues du panel avaient manié depuis quelques mois déjà avec beaucoup de précision, comme ne témoignent les réflexions que nous venons d’entendre sur « l’évaluation des lettres et sciences humaines » ou les divers desseins et destins ministériels. Je prendrai plutôt le télescope, car je suis convaincue qu’il s’agit de réhabiliter, de reconstruire et de développer les mutations en cours des humanités, au regard de l’actualité politique et des enjeux métaphysiques-philosophiques de la globalisation. Je commencerai par conséquent par quelques idées générales, avant d’essayer de les enraciner dans des propositions concrètes.

Nous le sentons tous : une nouvelle période historique commence. Sera-t-elle un nouveau partage de la souveraineté internationale, ou une emprise unilatérale ? Serons-nous livrés à des manipulations politiques et génétiques sans précédent ? Ou bien les avancées des sciences et des techniques nous permettront-elles des réponses plus adaptées, plus solidaires avec la vie de chacun ? Un autre destin humain se profile à l’orée de ce IIIe millénaire, qui exige un humanisme plus complexe pour éviter une nouvelle barbarie adossée à la technique. Je fais un pari : il est impératif de refonder l’humanisme, et il n’y a pas d’autre moyen de le faire que de solliciter les lettres et sciences humaines – en répondant à un devoir de mémoire (culture classique, dont Florence Dupont nous parlera ici, mais aussi diversité culturelle) tout en inventant de nouveaux objets de connaissance, ceci en ouvrant les frontières entre les disciplines et en les confrontant aux impasses de l’actualité. Telle devrait être l’ambition de cet Institut, ce qui veut dire ni plus ni moins qu’il nous revient à réinventer l’Encyclopédie. Merci, Diderot. J’évoque l’Encyclopédie et vous entendez que je ne pense pas à cet Institut des Humanités comme à une « structure », mais plutôt comme à un « champ magnétique » ou à un « champ vectoriel ».

Je l’aborderai en mettant en perspective – au télescope – trois thèmes dont l’actualité impose l’urgence comme horizon à penser pour notre futur Institut : 1. l’autorité et le « lien unifiant » ; 2. l’identité ; 3. la déconstruction-construction de l’humain aux limites de l’Homo sapiens. Je m’explique : après avoir constaté que l’humanisme rationaliste avait échoué dans le totalitarisme du XXe siècle, et annoncé qu’il échouerait dans l’automatisation économique et biologique qui menace l’espèce humaine aujourd’hui, le philosophe Habermas et le théologien et cardinal Ratzinger sont tombés d’accord pour déclarer en 2004 qu’il nous faut une « autorité supérieure fiable », seule susceptible de réguler la course effrénée à la liberté. En d’autres termes, puisque les démocraties constitutionnelles ont besoin de « présupposés normatifs » pour fonder le « droit rationnel », et que l’Etat sécularisé ne dispose pas de « lien unifiant » (Böckenförde), il serait indispensable de constituer une « conscience conservatrice » qui se nourrirait de la foi (Habermas) ou qui serait une « corrélation entre la raison et la foi » (Ratzinger).

En contrepoint à cette hypothèse, qui reprend les vieux débats scolastiques, je propose de penser que nous sommes d’ores et déjà confrontés à une expérience qui rend caduc le duo raison/révélation, puisqu’elle s’achemine vers une refondation de l’humanisme issu de l’Aufklärung sans recourir à l’irrationnel et sans l’ignorer non plus. Mais en en faisant un objet de connaissance pour cette pensée paradoxale que pratiquent les humanités : ce terme couvrant le continent complexe des lettres et des arts aussi bien que celui des sciences humaines dans leur diversité. Vaste continent en effet, mais dont la cohérence réside en ceci que les connaissances qu’il génère doivent s’entendre comme une EXPERIENCE (au double sens que la langue allemande lui donne) : Erlebnis (jaillissement risqué du vécu subjectif), tout autant que Erfahrung (jugement systématique pour renouveler les modèles).

Je n’alourdirai pas mon propos en vous proposant un examen philosophique des Humanités en tant qu’elles sont Erlebnis et Erfahrung, et en les comparant par exemple aux sciences dures d’un côté, à la théologie de l’autre, aux arts et lettres enfin. Permettez-moi, au lieu de cela, de vous livrer deux anecdotes.

Voici la première : en célébrant la création, juste après la Deuxième Guerre mondiale, de la Faculté des langues, littératures et sciences humaines de l’Université Georgetown à Washington, aux USA, le Recteur jésuite a déclaré qu’après la Shoah, une certitude s’était imposée à lui : « La seule manière de faire face aux totalitarismes, c’est d’apprendre et de faire apprendre aux jeunes générations la pluralité des langues, des littératures et des mentalités, de les problématiser et de les analyser. » Cette certitude est pour moi toujours d’actualité.

Et voici la seconde : j’ai visité en 2009 l’Ecole Polytechnique Tonqji de Shanghaï, pour préparer mon rapport devant le Conseil Economique, Social et Environnemental sur le « Message culturel de la France et la vocation interculturelle de la francophonie ». J’ai découvert que cette très prestigieuse Ecole polytechnique avait créé en son sein un Institut des Humanités, fondée sur la philosophie européenne et la « théorie française », et que cette structure s’intéressait tout particulièrement à l’étude interdisciplinaire des religions et des mentalités. A mon étonnement (« Tout cela pour former des ingénieurs ? »), le Président de Toingju a répondu : « Je ne veux pas que les garçons et les filles qui sortent d’ici deviennent des kamikazes quand ils seront confrontés à des conflits personnels ou sociaux. Leur apprendre à se poser des questions leur ouvre les yeux ». Le moins que l’on puisse dire c’est que je ne m’attendais pas à cela dans un pays où les droits de l’homme ont tant de mal à se faire entendre. De surcroît, ce président chinois donnait une leçon sur la place que devraient avoir les lettres et sciences humaines dans le système universitaire, en France aussi, et en synergie avec l’enseignement et la recherche en sciences exactes.

Ces deux anecdotes ne nous disent-elles pas déjà qu’il existe une alternative à la religiosité montante et à son envers, le nihilisme borné (qui réduit l’homme et la femme à des objets à gérer : du hard sex aux mères porteuses et à l’avidité de consommer) ? Je prétends que cette alternative s’amorce précisément en ces lieux de pensée que nous essayons non pas d’occuper, mais de faire vivre. Qui, nous? Nous qui sommes dans cette salle, essayant de fonder un Institut des Humanités lequel, non content de rivaliser avec les Institutions du même nom de nos collègues anglo-saxons et d’ailleurs,  devrait se donner pour ambition à la fois de renouer avec l’histoire de l’humanisme européen – et de le rénover. Nous pour qui l’expérience dans le vaste continent des « sciences humaines et sociales » implique une incessante interrogation du sens de l’existence humaine, telle qu’elle se présente dans les diverses disciplines. Ces disciplines qui – parce qu’elles se recoupent en un point très précis qui est l’interrogation de l’expérience subjective au cœur du lien social –, nécessitent une constante mise en question de leur propre méthodologie, et une permanente interdisciplinarité.

Prenons l’exemple de la littérature et de la psychanalyse, qui sont de mon domaine. J’y insiste parce que ce « secteur », loin d’être un « décor » ou d’empiler des « archives », s’est imposé comme un véritable laboratoire de la pensée dans les Humanités européennes, et plus particulièrement françaises. C’est justement cette approche que nous envient et tentent de nous emprunter les Instituts des humanités américains, intéressés depuis plusieurs décennies déjà à la « french theory ». Pourquoi ? Ceux qui s’exposent à l’expérience littéraire et psychanalytique, ou sont simplement attentifs à ses enjeux, savent que les oppositions raison/foi ou norme/liberté ne sont plus soutenables si l’être parlant que je suis ne se pense plus comme dépendant d’un monde suprasensible (transcendantal), et moins encore d’un monde sensible, politique et économique « à pouvoir d’obligation », contraignant. Mais que si « je » se libère et se dévoile à lui-même, il peut modifier le monde en construisant un lien vulnérable entre le langage (code communautaire) et cet objet étrange qu’est l’objet de désir, où la pulsion nous place au carrefour de la biologie et du sens. La théorie de l’inconscient étant précisément l’hypothèse théorique que Freud nous propose à ce carrefour, révolutionnant à proprement parler les Humanités héritées de l’âge classique et du XIXe siècle. Dans cette perspective, la littérature et l’art ne constituent pas un décor esthétique, pas plus que la philosophie ou la psychanalyse ne prétendent apporter le salut. Mais chacune de ces expériences, dans leurs diversités – parce qu’elles cherchent une version plus complexe et plus vraie de l’homme et de la femme –, se proposent comme le laboratoire de nouvelles formes d’humanisme.

Faisons un pas de plus pour essayer de dessiner des horizons pour notre Institut.

Sur fond du débat avorté autour du thème de l’« identité », je voudrais soutenir que « les Humanités » non seulement frayent la longue marche de la culture européenne vers et dans la sécularisation, mais qu’elles nous proposent nous nouvelle version de l’identité dont a besoin le monde globalisé. 

Deux  penseurs, fort différents, me venaient à l’esprit. Saint Augustin : « La seule patrie, c’est le voyage (In via, in patria) – que reprend l’héroïne d’un de mes romans qui me ressemble, en disant : « Je me voyage ». Et La Fontaine, dans ce texte peu connu au titre si français, « Le pâté d’anguille » : « Diversité, c’est ma devise ».

Entre Saint Augustin et La Fontaine, sans oublier Moïse (« Je suis qui suis/est », Platon, Montaigne, Goethe et j’en passe, jusqu’à nous, ici – dans l’Espace culturel européen qui (faut-il le répéter ?) a engendré les Humanités – la personne, la société, la vie elle-même nous apparaissent comme une mise en question : interrogation permanente qui ouvre la mémoire, au-delà des valeurs et des identités figées, à la vie du langage, comme révolte permanente, comme épreuve de la vérité. Il en résulte une étrange conception de l’identité. Nos identités ne sont en vie que si elles se découvrent autres, étranges, étrangères à elles-mêmes.

Tel est le constat de la littérature moderne et de l’expérience psychanalytique, et nous n’avons pas encore pris la mesure de ce qu’il implique pour le pacte social – aussi bien que pour son noyau moderne qu’est la Nation. Si nous ne sommes des sujets libres qu’en tant qu’étrangers à nous-mêmes, il s’ensuit que le lien social devrait être non pas une association d’identités, mais une fédération d’étrangetés. Ne serait-ce pas la meilleure façon pour la nation, et peut-être la seule, de s’inclure dans des ensembles supérieurs : l’Europe et au-delà ? L’Europe comme fédération d’étrangetés respectées : tel est mon rêve.

Je suis cependant convaincue que ce rêve ne peut être un véritable antidote à la banalisation des cultures et à l’automatisation de l’espèce que s’il s’appuie sur une certaine vision et ambition de et pour la nation et la langue nationale. Je soutiens donc, contre l’universalisme qui banalise les traditions culturelles, et les communautarismes qui juxtaposent des identités sociales et culturelles quand ils ne les dressent pas les unes contre les autres, que le temps semble venu de décomplexer l’identité nationale. L’identité, y compris nationale, est un antidépresseur : il importe de veiller à ce qu’elle ne s’inverse pas une excitation maniaque en quête de boucs émissaires. Sans tomber dans la patriotisme nationaliste de « l’exception française », il importe d’affirmer avec fierté les contributions spécifiques de notre pays dans divers domaines de la vie sociale, parmi lesquels le développement culturel, son rôle dans l’histoire des Français, et sa valeur internationale que les autres peuples peuvent apprivoiser à leur manière spécifique.

Dans cet esprit, je suis heureuse d’avoir pu présenter – et faire adopter – un « Avis » du Conseil Economique et Social sur Le message culturel français et la vocation interculturelle de la francophonie, le 24 juin 2009, publié au Journal officiel.

Persuadés du rôle actif que la francophonie pourra jouer pour promouvoir la diversité culturelle aujourd’hui, nous ne rappellerons jamais assez les liens étroits que l’histoire culturelle française a forgés entre les diverses expressions culturelles (arts, goût, mentalité) d’une part, et la langue française elle-même d’autre part.

Cet alliage, qui fait de la langue et de la littérature un équivalent ou un substitut du sacré en France, en même temps qu’un appel au respect universel d’autrui, est probablement unique au monde. Il en résulte ceci que, tout compte fait, persiste à travers la globalisation un désir pour la langue française, perçue non pas comme un « code » mais comme une manière d’être au monde (expérience subjective, goût, modèle social et politique, etc.) propre, certes, à toutes les langues, mais dont la conscience s’est cristallisée tout particulièrement en France.

Je propose donc que notre Institut puisse problématiser l’héritage culturel français dans le contexte actuel, pour impulser une dynamique politique à la francophonie et l’adapter au monde moderne, au double sens de cette logique d’adaptation : faire mieux connaître et partager cette expérience française de « l’identité linguistique », et contribuer à ouvrir l’hexagone à la diversité mondiale.

Cette réévaluation de la francophonie est indissociable de la nécessiter de développer le multilinguisme comme signe distinctif de la culture européen, et le sens que ce fait revêt dans les tensions internationales actuelles.

« Qui suis-je ? » est une question dont la meilleure réponse, européenne, n’est évidemment pas la certitude, mais l’amour du point d’interrogation. En contrepoint au culte moderne de l’identité, la culture européenne est une quête identitaire indéfiniment reconstructible, ouverte. Et c’est précisément ce contrepoint, ce « contre-courant », qui fait l’intérêt, la valeur et la difficulté de la culture européenne, mais aussi, et par conséquent du projet européen lui-même.

En effet, les différents confluents qui composent la civilisation européenne (grécoromain, juif et, depuis deux mille ans, chrétien, puis leur enfant rebelle qu’est l’humanisme, sans oublier la présence arabo-musulmane de plus en plus forte), ainsi que les spécificités nationales, n’ont pas fait de la culture européenne seulement un beau manteau d’Arlequin, ni un hideux broyeur d’étrangers victimisés – bien que ces extrêmes n’aient pas manqué à notre passé, et qu’ils hantent aujourd’hui encore, redoutables revenants, les latences xénophobes et antisémites du vieux continent.

Non, une cohérence s’est cristallisée de ces diversités qui, pour la seule et unique fois au monde, affirme une identité, tout en l’ouvrant à son propre examen critique et à l’infini des autres. Après avoir succombé aux dogmes identitaires jusqu’aux crimes, un nous européen est en train d’émerger, qui porte au monde une conception et une pratique de l’identité comme inquiétude questionnante. En ce début du IIIe millénaire, il est possible d’assumer le patrimoine européen en le repensant comme un antidote aux crispations identitaires : les nôtres et celles de tous bords.

En octobre 2005, sur une proposition française, puis européenne, fortement appuyée aussi par le Canada, l’Unesco a adopté une Convention sur la diversité qui est une étape majeure dans l’émergence d’un droit culturel international. Elle est intitulée : « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ». Il s’agit d’abord de sauvegarder et de respecter les langues – pour sauvegarder et respecter les caractères nationaux –, mais il s’agit aussi d’échanger, de mélanger, de croiser. Et c’est une nouveauté, pour l’homme et la femme européens que les Humanités européennes ont affirmée dans l’histoire universelle, et qui exige de nous réflexion et approfondissement.

Permettez-moi encore un bref rappel historique pour insister sur le sens plus que politique – je dirai anthropologique- de notre projet. Au XIIe siècle, Saint Bernard a fait de l’homme européen un sujet amoureux. Dans son interprétation des Cantiques, un homme voyageur s'est constitué, qui était l'être amoureux : ego affectus est. Cet homme chrétien s'est donné comme un être amoureux des autres, mais l'amour va avec la guerre. Il n'y a pas eu de réflexion très approfondie sur cette ambivalence, que l’on trouve toujours dans les religions, amour et haine allant ensemble, mais c'était déjà une façon de vivre la complexité du message européen. Au XVIIe siècle, Descartes a révélé à la science naissante et à l’essor économique un ego cogito. Le XVIIIe siècle a apporté, avec les charmes du libertinage, ce souci des singularités qui s’est cristallisé dans la Déclaration des Droits de l’Homme. Après l’horreur de la Shoah, les européens du XXIe siècle doivent affronter aujourd’hui une autre ère.

Oui, la diversité linguistique européenne est en train de créer un sujet polyphonique, citoyen polyglotte d’une Europe plurinationale. Le futur Européen sera-t-il un sujet singulier, au psychisme intrinsèquement pluriel parce que trilingue, quadrilingue, multilingue ? Ou se réduira-t-il au globish ? Je constate plutôt pour l’heure une heureuse polyphonie linguistique et/ou culturelle, à laquelle les jeunes Européens, nos étudiants, s’essaient progressivement : peut-être plus couramment, plus naturellement que ceux venant d’autres pays et continents.

Dans la « crise des valeurs » actuelle, nous entendons divers messages idéologiques ou religieux, plus ou moins dogmatiques, qui nous proposent, contre le manque de repère, leur Vérité, forcément absolue, comme Repère Absolu. L’expérience européenne de l’identité plurielle nous ouvre alternative aux heurts entre certitudes dogmatiques : la pluralité identitaire dont multilinguisme est le laboratoire, la meilleure réponse aux tentations fondamentalistes. Et, pour ma part, c’est dans le multilinguisme que je chercherais le fondement de la nouvelle laïcité qui saurait faire face aux heurts des religions.

   Paris-Diderot a la chance d’abriter un des départements les plus créatifs en psychopathologie et psychanalyse. Mais aussi de penser, avec la psychanalyse, d’autres expériences culturelles et politiques, notamment la littérature, les arts, les mentalités ou les spiritualités européennes, méditerranéennes  ou asiatiques.

Dans ce contexte, ce que j’appelle « Les nouvelles maladies de l’âme » constituent le troisième volet que les Humanités non seulement diagnostiquent mais se proposent de soigner. Quelles sont ces nouvelles maladies de l’âme ? La clinique recueillant les rescapés de la décomposition-recomposition des familles et des valeurs, mais aussi le malaise social relayé par les médias, révèlent l’aggravation des blessures narcissiques, les risques de psychose, la propagation des dépressions suicidaires, les symptômes psychosomatiques, le vandalisme, les violences en tous genre – qui témoignent tous d’une difficulté croissante à représenter les conflits internes et externes. L’espace psychique, cette chambre obscure de notre identité où se réfléchissent à la fois le mal de vivre, la joue et la liberté de l’Homo Sapiens, est-il en train de disparaître ? Si elle n’a pas encore disparu, la psyché est de plus en plus en panne. L’homme et la femme modernes n’ont ni le temps ni l’espace nécessaire pour se faire une âme. L’acte et sa doublure, l’abandon se substitue à l’interprétation et au sens. Il est urgent de rendre publique l’interrogation souvent ésotérique que mènent les psychanalystes dans ces domaines de l’intime : quels types de représentations, quelles diversités de logiques la constituent ? La psychanalyse n’a pas nécessairement les réponses, mais elle est la seule à les chercher.

A ce niveau d’interrogation, les Humanités – au sens que le IIIe millénaire donne à ce terme – ne se préoccupent pas des crises des valeurs, des langages ou des cultures. Les Humanités interrogent un inconnu bien plus problématique que le développement durable et l’écosystème. Elles sont appelées à affronter une réorganisation épochale de l’humaine condition, qui se produit sous la pression des techniques et des nouveaux modes de communications, y compris numériques. La vulnérabilité de l’espèce humaine, handicap et vieillissement inclus, participent de cette déconstruction/construction de l’humain, qui interpellent les frontières des disciplines biologiques, médicales, juridiques pour leur faire croiser les « sciences de l’esprit ».

Ces trois grandes préoccupations : les identités et le lien unifiant, les langages, les maladies de l’âme appellent des domaines, des thèmes, des forums, des chaires au sein de l’Institut :

1.                     Le patronyme de Diderot nous impose de placer au cœur de l’Institut un pôle « Philosophie des Lumières », pour tenter d’élucider la complexité des Lumières ; de défaire l’image réductrice de leur universalisme trop vite déclaré abstrait et normatif ; et de restituer la richesse rhétorique, stylistique, politique. Un geste indispensable pour redonner aux Droits de l’homme eux-mêmes leur complexité et leur profondeur.

2.                     En prolongement de l’Université européenne d’été « La culture européenne existe-t-elle ? », une chaire « Identité et diversité de la culture européenne » est à envisager. Cette thématique établirait et interrogerait le destin grec, juif, chrétien, musulman et sécularisé du patrimoine européen.

3.                     Un diplôme « La vocation interculturelle de la francophonie » est à explorer dans l’histoire de la langue et de la littérature française, aussi bien dans l’Hexagone que dans les cultures francophones, et comme facteur d’intégration des migrants, pour donner un nouveau sens à la Nation dans l’Europe et dans le monde.

4.                     Des ateliers plus « pragmatiques » pour promouvoir le multilinguisme à tous les échelons de l’enseignement pourraient être ouverts. Notre Institut pourrait contribuer à imposer l’apprentissage de deux langues étrangères dans le Plan « Réussite en licence » : non seulement de l’anglais mais d’une deuxième langue étrangère.

5.                     Dans l’esprit du département « Sexes, genres, familles : questions d’éthique » et du pôle « Egalité hommes/femmes » proposé par le Président Vincent Berger, on pourrait faire place aux études et aux combats pour les droits des femmes, avec notamment le secrétariat du Jury International du « Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes » et le Pôle Simone de Beauvoir, et développer diverses initiatives en organisant colloques, rencontres, etc.

6.                     Un pôle regrouperait et porterait à la connaissance du grand public les « Recherches en psychopathologie et psychanalyse », reconnaissant ainsi l’originalité de Paris-Diderot qui abrite un département exemplaire en psychopathologie et psychanalyse. Avec deux priorités : « nouvelles maladies de l’âme » et « aux limites du vivant (handicap et vieillissement) ».

7.                     Un « observatoire des faits religieux », avec une méthodologie interdisciplinaire et d’inspiration psychanalytique, pourrait se développer en lien avec le Freud Museum à Vienne et le Standing Forum on religions de l’Université de Jérusalem.

 

 

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