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Woody Allen par Julia Kristeva

 

 

Leur ticket : Julia Kristeva

Woody Allen Match Point

Le Nouvel Observateur, le 12/01/2006

 

 

 Les libertaires des sixties se doutaient un peu que le plaisir a partie liée avec la loi, et que tout excès de liberté est liberticide. C'est bien fini. Aujourd'hui, à Londres, capitale emblématique du puritanisme, le sexe libéré compose avec le banal refoulement. Mais loin d'assurer la paix des âmes, cette Traviata affole le désir et fait exploser son onde porteuse : la pulsion de mort. Le face-à-face entre l'homme en proie à son désir (Chris Wilton) et ses femmes en mal d'enfant (Nola Rice, Chloe Hewett) transforme le bain-marie de la bourgeoisie victorienne en polar.

 

 L'humour de Woody Allen a beau la jouer grave dans « Match Point » pour suggérer la fatalité du crime dopée par la frénésie d'ascension sociale, le spectateur piégé se délecte sottement des accouplements clandestins. Jusqu'à ce que le meurtre de Nola par Chris lui révèle que le heurt des sexes est plus implacable que le choc des religions. Car, face à la folie du désir masculin, la maîtresse et l'épouse persévèrent à tourner le jeu en généalogie.

 

 Ici, nulle tragédie grecque purificatrice, nul jugement pour scander l'opéra londonien de la fin de l'histoire : une culpabilité muette imbibe mollement les passions. Tandis que la famille mondialisée s'empresse autour du fils que l'homme a conçu sans désir, l'expert en match points comprend qu'il ne lui reste qu'un succès sans issue sur l'écran des marchés financiers. Cette drôle d'angoisse serait-elle la forme moderne du tragique ?

 

Julia Kristeva, Le Nouvel Observateur du 12/01/2006

 

 

 

 

 

  Les Echos Week end, 22 mai 2020

 

 

 

 

 

 

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