JULIA KRISTEVA

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Julia Kristeva
 

 

 
 
Julia Kristeva L'osservatore Romano

 

La modernité d'une mystique

Thérèse d'Avila

Entretien avec Julia Kristeva

Par Cristiana Dobner

donne chiesa mondo

L'OSSERVATORE ROMANO marzo 2015 numero 33

 

 

-               Comment avez-vous rencontré Teresa et comment s’est déclenchée l'étincelle de l'intérêt passionné?


Un de mes plus brillants étudiants, Frédéric Boyer,  devenu écrivain, traducteur et éditeur chez Bayard, m’a invitée à écrire “petit livre psy” pour la nouvelle collection qu’il lançait, sur les “maîtres spirituels de l’Occident”. Ayant lui-même préparé sous ma direction une thèse doctorale sur “l’expérience spirituelle chez Proust, Kafka et Marguerite Duras”, il savait bien que je n‘étais nullement experte en “maitres spirituels” au sens religieux du terme. S’adressait-il à moi pour m’avoir entendu  me réclamer de la philosophie des Lumières et, tout en continuant de combattre l’obscurantisme, regretter  que la sécularisation  est encore incapable de     reconnaître les bénéfices du besoin de croire pour réévaluer sérieusement cette expérience? Après quelques hésitations,  je lui ai donc proposé  de révéler au public français une inconnue: Anne Comnène, la fille de l’empereur Alexis Ier, la première femme historienne au monde, chrétienne orthodoxe auteur de la monumentale Alexiade, 15 volumes de fascinantes chroniques sur le règne de son père et  la Première Croisade, et qui devait  devenir un personnage central de mon roman Meurtre à Byzance. Intrigué et curieux d’abord, Frédéric  s’avisa pour finir: “Anne Comnène  n’est pas assez connue, en effet, commencer une nouvelle collection avec elle paraît difficile...Pourquoi pas Thérèse d’Avila?” Je ne connaissais de cette sainte baroque que les quelques paragraphes du livre de Lacan, Encore, un séminaire consacré à la jouissance féminine, et la couverture de cet ouvrage avec la reproduction de la splendide sculpture de Gian Lorenzo Bernini, La Transfixion... “Lisez, et on en reparle”, m’invita malicieusement mon supposé éditeur....Le reste de l’histoire est dans mon récit Thérèse mon amour. L’héroïne, Sylvia Leclerc qui me ressemble beaucoup, fait de cette carmélite espagnole du 16e siècle, sa “colocataire”. Nous avons vécu   ensemble une dizaine d’années, pendant lesquelles j’ai fini le roman d’Anne Comnène, j’ai continué à lire Thérèse...Tous ses livres, mais aussi les biographies et les interprétations que lui consacré de nombreux auteurs, parmi lesquels des femmes: Marcelle Auclair, Dominique de Courcelles, Mercedes Allendesalazar ( parmi les écrivaines de langue française), Alison Weber, Gillian T.W.Ahlgren, Mary Frohlich (parmi les Américaines, car entre-temps je continuais à enseigner à New York, Chicago, Washington, Toronto  et j’ai découvert que dans les “divinity schools” de nombreuses chercheuses m’avaient précédés sur les pas de Thérèse), Rossa Rossi (parmi les Italiennes)... Mais aussi des hommes spécialistes de la mystique en général et de l’œuvre thérésienne en particulier : Michel de Certeau, un cher et regretté ami;  Denis Vasse, Jean-Noël Vuarnet, Americo Castro, Antonio Marquez; des théologiens subtils comme Michel de Goedt ou Victoriano Larranaga; ou des connaisseurs d’Espagne du Siècle d’or comme  Marcel Bataillon... Pour ne citer que quelques uns des  indispensables compagnons de ce long voyage que fut ma “cohabitation” avec la sainte, et qui ont rendu possible de mot “amour” dans le titre de ce gros livre sur Thérèse. Les 700 pages  de ce récit mélangent  sa biographie, des citations de ces écrits, et ma passion pour cette femme: ma mosaïque ne pouvait plus tenir  dans le cadre du “petit livre psy”, je l’ai donc confiée en définitive à mon éditeur habituel Fayard, elle est désormais traduite en italien, anglais et espagnol. ...De fil en aiguille, au cours cette dizaine d’années avec ma colocataire,  l’extravagante moniale espagnole dont j’avais à peine entendu parler s’est transformée pour moi en une figure incontournable de la culture européenne que j’ai redécouverte à son contact. Et je suis heureuse d’avoir ausculté, grâce à elle,  cet élan  baroque qui a transfiguré le catholicisme médiéval et a ouvert les portes à l’humanisme des Lumières.


-Comment vous vous confrontez avec la foi de Thérèse?

- Cela n’a jamais été une confrontation. J’ai essayé tout simplement d’apprivoiser son  expérience fabuleuse, telle qu’elle la décrit dans ses livres. Je me suis  projetée dans l’écriture de cette  femme,  Teresa de Cepeda y Ahumada ( 28 mars 1515- 4 octobre 1582), en religion Thérèse de Jésus, qui  a vécu et décrit une foi qu’on appelle mystique, et dans laquelle elle célèbre son union en Jésus ainsi : « l’Âme se consume de désirs et ne sait pourtant que demander, parce qu’elle sent clairement que son Dieu est avec elle » (Château intérieur, VI D, 2 :4). « Si vive était la douleur que je ne pouvais m’empêcher de pousser de ces gémissements dont j’ai parlé […]. Mais si excessive la douceur que me cause cette immense douleur qu’il n’y a pas lieu de désirer qu’elle s’apaise, et que l’âme ne peut se contenter de rien moins que Dieu. Ce n’est pas une souffrance corporelle, mais spirituelle, bien que le corps ne manque pas d’y participer quelque peu, et même beaucoup […] (Vie, 29 : 11-14). « Nous ne sommes pas des anges, nous avons un corps » (Vie 22 :10). “Cristo como hombre...” (Vie, 9:6). Et caetera... Je l’ai accompagnée  aussi dans l’art baroque qui la rapproche davantage encore de nous, les “modernes”, à commencer par la Transfixion (1646) du sculpteur italien Gian Lorenzo Bernini qui fait vibrer cette extase en marbre baroque : elle se liquéfie sous mes yeux dans l’église de Sainte-Marie d la Vittoria, à Rome....Mais aussi la Messe que lui a dédiée Michael Haydn, ou la peinture de Tiepolo à Venise... Et puisque je ne suis pas croyante, j’ai essayé  de l’apprivoiser avec ma manière de sentir et de penser, c’est-à-dire de l‘interpréter.

Car, cinq cents ans après la naissance de cette carmélite extravagante, son écriture interpelle la mémoire universelle. Après ses sœurs et frères carmélites et carmes, et bien au-delà de l’Église catholique, les audaces de son expérience spirituelle et la précision de son élucidation, le courage de son œuvre réformatrice du Carmel aussi bien que du monachisme féminin, ainsi que la modernité de son désir impétueux convoque les féministes, interrogent les philosophes, les historiens et les psychanalystes, fascinent les artistes et les écrivains. Thérèse  invite le monde sécularisé à réévaluer, inlassablement et sans préjugé, le besoin de croire sous-jacent au désir de savoir.

 

-      Et avec son écriture extraordinaire?

 

-  En effet, par le recueillement des lectures et la ferveur des prières, mais aussi en s’imprégnant  dans   musique, la peinture, la sculpture,- l’écriture de cette femme sans frontière nous donne son corps physique, érotique, gourmand et anorexique, hystérique, épileptique, qui se fait verbe qui se fait chair, qui se fait et se défait en soi hors de soi, flots d'images sans tableaux, constamment à la recherche de l’Autre et du mot juste. Matrice béante palpitante pour l'Aimé toujours présent sans jamais être là : Il est en elle, elle en Lui, sensation sans perception, transpercée ou transparente, transverbération et inondation. Dieu, festin des langues, dans la saveur de l’espagnol incarné, bouleversé et respecté, saisi d’effroi et de délices. Dieu, chemin de perfection parce que chemin de souffrance, Tout est Néant, le Néant est Tout, mais il y a être et être, faites ce qui est en vous, et en allégresse ! Soyez gaies, mes filles, Thérèse fonde son Église comme un Cantique des cantiques, elle aime jouer aux échecs, il est permis de jouer, mes sœurs, même dans les monastères, surtout dans les monastères, dieu nous aime joueuses, mes filles. Les âmes qui aiment voient jusqu’aux atomes infinis qui sont des atomes qui jouissent. Cette éprouvée ne redoute pas l’infini, elle le porte en elle, elle l’apprivoise, elle l’écrit, elle nous le donne, nous en sommes : pour déjouer le suicide et le délire, en toute lucidité, et ravie.

Thérèse entame sa « recherche » du ravissement  par une « suspension des puissances » (c’est ainsi qu’on appelle en scolastique l’entendement, la mémoire et la volonté) pour atteindre ce qu’il faut bien appeler un état de régression où l’individu pensant perd ses contours identitaires et, en dessous du seuil de la conscience, devient un « psyché-soma». Dans cet état qui renvoie, pour la psychanalyse, aux états archaïques de l’osmose entre le nourrisson voire l’embryon et sa  mère, le lien à soi et à l’autre se maintient, fugace, par une sensibilité extravagante, infra-linguistique, dont l’acuité excessive  est à la mesure de la perte des facultés d’abstraction jugeante.

Les extases de Thérèse sont d’emblée et sans distinction paroles, images et sensations physiques, esprit et chair, à moins que ce ne soit chair et esprit : « le corps n’est pas sans participer au jeu, et même beaucoup ».  Objet et sujet, perdue et retrouvée, dedans et dehors et vice versa, Thérèse est un fluide, un ruissellement constant, l’eau sera son élément : « J’ai un attrait particulier pour cet élément : aussi l’ai-je observé avec une attention spéciale » (D, IV : 2,2);  et la coulante métaphore, sa manière de penser. Serait-ce une fulgurance intime ou la résurgence du thème évangélique du baptême ? Elle prétend se réfugier dans sa condition de femme et se plaindre de son inaptitude au « langage spirituel » pour se faire excuser de cette « récréation » que serait son recours à la « comparaison » ! Ainsi justifiée, son écriture distingue quatre étapes de l’oraison qu’elle décrit comme « quatre eaux » qui arrosent le jardin de l’orant  (Cit. Vie 11 : 7) : le puits, la noria et les godets, la rivière, la pluie.

  Le style thérésien est intrinsèquement ancré dans les images, elles-mêmes destinées à transmettre ces visions qui ne relèvent pas de la vue (ou du moins pas seulement de la vue), mais habitent le corps-et-l’esprit  ensemble, le psyché-soma. De telles « visions » ne peuvent que  se donner d’abord et essentiellement au toucher, au goût, à l’ouïe, avant de transiter par le regard.

      Si l’eau est l’emblème du rapport entre Thérèse et l’Idéal, on comprend que son Château intérieur ne saurait se dresser comme une forteresse, mais se laisse ajuster comme un puzzle de « demeures » : moradas (c’est le titre original de son texte, et certainement pas un « château » !) – « demeures » aux cloisons perméables que le divin ne domine pas mais qu’il habite. C’est seulement dire que la transcendance selon Thérèse se révèle aussi immanente : le Seigneur n’est pas au-delà mais en elle ! De quoi lui valoir les ennuis qu’on imagine avec l’Inquisition… Tandis que ses confesseurs et les éditeurs qui recueilleront les manuscrits atténueront cette prétention…

  En définitive, l’énigme de Thérèse est moins dans ces ravissements, que dans le récit qu’elle en fait : les ravissements existent-ils ailleurs que dans ces récits ? Elle en est tout à fait consciente : « … fabriquer cette fiction (hacer esta fiction) pour donner à comprendre », écrit la carmélite dans Le Chemin de perfection (28 :10). Elle se défend d’être une théologienne, et ne revendique - modestement, ou d’une courageuse modernité ?- qu’elle est l’auteur d’une fiction (« la fiction, cet élément vital des sciences de l’esprit », dira plus tard Husserl). Une écrivaine.


-                Quel est le rôle testimonial de Teresa de Jésus dans l'humanisme d'aujourd'hui?


-                La narratrice de mon livre Thérèse mon amour, la psychanalyste Sylia Leclercq qui me ressemble, finit sa cohabitation avec Thérèse en adressant une lettre à Denis Diderot qui, en son temps,  fustigeait les abus de la religion dans son célèbre roman inachevé La Religieuse. Mais Diderot, ex-chanoine et écrivain-philosophe des Lumières, pleurait en s’avouant incapable de finir son histoire : car délivrée des abus de la vie monastique, sa religieuse est jetée dans une vie privée de sens.  Je suis convaincue que la psychanalyse freudienne, qui  interroge les mythes et  l’histoire des religions, en même temps qu’elle ouvre les portes de la vie intérieure des êtres modernes, est la voie royale pour transvaluer, justement, cette tradition qui nous précède et avec laquelle nous avons coupé le fil. Nous, les non-croyants. Mais aussi nous, les croyants bien souvent réduits à des « éléments de religions » (comme on dit des « éléments de langage »  et  oubliant la complexité de l’expérience). La relecture que nous lui devons ne saurait être seulement abstraite et surplombante. Elle engage la mémoire affective singulière, l’intimité de chacun. Le séminaire de Lacan fait d’elle une découvreuse  de la « jouissance féminine », au titre suggestif : Encore. Insatiable serait cette jouissance féminine : encore et encore ? Parce qu’elle ne se limite pas aux organes sexuels, mais embrase tous les  sens et transporte le corps dans l'infini du sens, en même temps qu’elle fait basculer le sens lui-même dans le non-sens, symptômes et folies. Une jouissance dont Thérèse serait la meilleure exploratrice et  qui l’exile d'elle-même : perpétuel transport vers l’Impossible, l’Innommable. Qui ne cesse cependant de l’appeler à dire, à penser, corps et âme, passion de l’écriture.  Un témoignage extraordinaire, s’il en fallait, du fait qu’il existe un humanisme chrétien intense et encore incompris, et que la culture européenne se doit de réinterpréter continûment, si elle veut survivre à la pensée-calcul et se refonder en permanence.


-                Pourquoi avez-vous abordé une femme du XVI siècle - que vous avez continué à connaître et à l'étudier?

 

J’espère vous avoir convaincu de la modernité de cette mystique, telle qu’elle apparaît dans ma lecture. Mais je peux vous préciser peut-être mieux la séduction que Thérèse  exerce sur moi, en rappelant deux caractéristiques de son œuvre que j’affectionne.

La première serait-elle cette sainte ironie qui frise l’athéisme ? Dans un feuillet non retenu du Chemin de perfection, Thérèse conseille à ses sœurs de jouer aux échecs dans les monastères, même si le jeu n’est pas permis par le règlement, pour... « faire échec et mat au Seigneur [1]  » . Une impertinence qui résonne avec la célèbre formule de Maître Eckhart: « Je demande à Dieu de me laisser libre de Dieu ».

La seconde est  formulée par Leibnitz.  Le philosophe mathématicien  écrit dans une lettre à Morell (10 décembre 1696) : « Et quant à sainte Thérèse, vous avez raison d’en estimer les ouvrages ; j’y trouvai cette belle pensée que l’âme doit concevoir les choses comme s’il n’y avait que Dieu et elle au monde. Ce qui donne même une réflexion considérable en philosophie, que j’ai employée utilement dans une de mes hypothèses ». Thérèse inspiratrice des monades leibniziennes qui contiennent l’infini ? Thérèse précurseur du calcul infinitésimal ?

Quelle qu’en soit la modestie d’écrire, cet acte de langage amoureux est aujourd’hui encore – sera toujours  – une expérience qui n’ignore pas ces ravissements, ces extases.  La carmélite n’a pas inventé la psychanalyse ni l’écriture moderne mais, cinq siècles avant nous, elle a élucidé cette étrange expérience qu’est la pensée aux frontières du sens et du sensible, corps et âme ensemble : les secrets de l’écriture. À ces extrêmes, Thérèse est notre contemporaine.

 

-                Vous savez bien que je soulignais déjà la diversité des imaginaires de Julia Kristeva et de Teresa de Jésus: une école psychanalytique et la Beauté de Dieu comme horizon. Comment vous les comparez? Vous les qualifiez voisins ou parents par alliance?

 

 

Je ne parle jamais au nom d’une école, fût-elle psychanalytique. J’ai essayé simplement de lire Thérèse dans le temps. J’ai la faiblesse de penser que les êtres parlants que nous sommes appartiennent à l’histoire, et que cette dernière nous apprend à “transvaluer” (Umwertung aller werte, selon Niztesche)  les expériences qui nous précèdent et qui continuent de nous parler.  En ce sens, Thérèse n’appartient pas à UNE Vérité, ni à UN Univers, fut-il celui de la Beauté.  Son écriture s’offre au MULTIVERS (que théorisent les cosmologistes contemporains)  par l’infinie des lectures dans l’infini du temps.

 

 

-                Julia et Sylvia dans votre roman dédié à Teresa s'entrelacent  et les plans se transposent. Pourquoi avez-vous choisi cette forme narrative?

             

-                Pour les mêmes raisons que Thérèse “fait de la fiction”: pour donner à comprendre son expérience à partir d’une autre, la mienne,  dans le flux infini de  l’histoire des hommes et des femmes. Ce temps infini, - serait-ce ma version de  votre “éternité”? -   est le thème de mon nouveau roman (L’Horloge enchantée, Fayard) : il ne peut se dire qu’en fiction, pas en concepts, je crois...

-                Est-ce que la féminité de Teresa parle aujourd'hui?


- Et si la “féminité de Thérèse” était...post-moderne? Cette sainte baroque est d’une sensualité hyperbolique mais aussi sublimée, sans précédent et unique parmi les mystiques elles-mêmes, davantage portés (hommes et femmes)  à la souffrance et au pur abandon qu’à la plénitude des sens. Mais Thérèse est aussi “le plus viril des moines”, selon Huysmans: c’est-à-dire d’une bisexualité psychique (pour reprendre la terminologie freudienne) presque revendiquée,  exigeante. Par ailleurs, le corps de cette mystique, tel qu’elle le décrit, est un champ de bataille entre les désirs culpabilisés qu’elle ne fait que suggérer dans sa Vie, précisant que ses confesseurs lui interdisent de les développer, et l’exaltation idéalisante dont témoigne le culte intense qu’elle voue à Marie (mère vierge) et à Joseph (père symbolique). D’une étonnante lucidité, elle confie dans sa biographie la manière dont ces tourments l’ont conduite aux convulsions et aux pertes de conscience suivies, dans certains cas, de comas qui durent jusqu’à quatre jours : l’épileptologue français, le Dr Pierre Vercelletto, après l’Espagnol E. Garcia-Albea, diagnostique une « épilepsie temporale ». Ses “états limites” qu’elle décrit et qu’elle dépasse, en définitive,  nous renseignent sur la complexité des catastrophes psychiques que les sciences de l’esprit ont encore du mal à élucider et à accompagner.

 

-                Quel est le sens de maternité de cette sainte qu'il déboule depuis les siècles?


-                La sécularisation est la seule civilisation qui manque de discours sur la maternité...Tandis que Thérèse, dans ses prières mais aussi dans son œuvre de refondatrice du Carmel qu’elle détaille dans ses Fondations,  fait apparaître une vision et une pratique de la maternité symbolique qui  fut la sienne comme “mère supérieure”. Quelque étonnant que cela puisse paraître, certaines de ces réflexions à ce sujet peuvent éclairer- aujourd’hui encore!- les génitrices (les femmes qui portent les enfants dans leur utérus) quand elles deviennent mères: quand elles vivent la passion et le dépassionnement de ce premier lien à l’autre qu’est le lien à l’enfant, et deviennent capables de transmettre la tendresse, le langage et la pensée. Thérèse commence par glorifier  la souffrance comme voie vers Dieu, ainsi que  comme chemin obligé de la maternité. Mais elle a aussi le génie de se détacher de l’affect muet, qu’il soit  douleur ou joie. Et préconise de “ne pas jouir davantage” (qu’il s’agisse de jouir en douleur   ou de jouir en plaisir), mais de “faire la volonté de Dieu” qui consiste à “considérer les autres”, “sans se lier les mains”( Relations, 19). “Oeuvres, oeuvres, oeuvres!” (VII D, 4:6 ) Extraordinaire, ce dévouement sans faille aux autres, soutenu par l’altérité de l’Autre! Ce serait donc  cela, ce que j’appelle la reliance maternelle: ne pas se contenter de  jouir en soi et pour soi, mais  considérer l’existence du Tiers, pour accéder à la volonté de respecter et soutenir  les autres, et ne jamais faillir! Hannah Arendt avait diagnostiqué, après la Shoah, que le “mal radical” commence du moment où les humains deviennent incapables de “penser du point de vue de l’autre”. Eh bien, pour Thérèse, être mère serait, en somme,  tout le contraire: la capacité de penser du point de vue de l’autre! Et vouloir l’accompagner, dès lors, à penser lui-même, pour développer le sens de vivre.

 

 

-                Vous définissez Teresa comme "passerelle”, pour quelle raison?


- Thérèse est une passerelle entre le marranisme et l’érasmisme de sa famille paternelle d’une  part, et la foi de “christuana vieja” que fut sa mère. La présence du Cantique des cantiques dans la ferveur charnelle de sa prière, son expérience de l’oraison des Alumbrados, son engagement contre la persécution politique qui imposait la “pureté du sang”, sa passion pour la littérature courtoise qu’affectionnait sa mère: ce ne sont que quelques stations de sa vie que je développe dans mon livre, et qui font d’elle un être de carrefour. Dérangeante, dans cette Espagne qui avait expulsé les Juifs en 1492, Thérèse a été soumise  à l’Inquisition, et a en a échappé de peu: grâce aux jésuites et quelques dominicains bien avisés...Par ailleurs, et pour cela même, son identité kaléidoscopique, son écriture mobile, fluide, aquatique, à la fois passionnelle et raisonnée, en font une des premières figures baroques. Dans la foulée du Concile de Trente, le baroque a joué un rôle charnière dans l’histoire européenne:  à l’interface entre le Moyen âge et les Lumières. Faisons un pas d’Avila à l’Italie: nous y trouvons le baroquisme de Bernini- cet amoureux de Thérèse, mais aussi Monteverdi ou Vivaldi – pour ne citer que ceux-là. Une nouvelle humanité est en train de naître, avec ses nouveaux langages  bouillonnants, innovants, indomptables, aventuriers, libertaires... Aujourd’hui, la fraîcheur de Thérèse permet de redécouvrir qu’il existe un catholicisme complexe, insolite, qui “parle” à l’intensité de notre besoin de croire et de notre désir de savoir... Pour lesquels nous manquons d’appuis... 

 

-                L'alchimie de l'altération amoureuse comme jeu dans le sens  de  Teresa?


Oui,  en ce sens que la richesse de l’expérience intérieure  - dont témoigne  l’écriture de Thérèse inséparable de sa prière - est notre  seule résistance  possible et efficace, contre la soumission et contre le fanatisme qui menacent le monde moderne.

  Julia Kristeva



[1] Chemin,  éditions du Cerf, p. 754.

 

 
 
 
 

 

 

 

donne chiesa mondo

Cinquecento anni con Teresa
L'OSSERVATORE ROMANO marzo 2015 numero 33
Modernità di una mistica
Intervista con Julia Kristeva, di Cristiana Dobner

( >> español )

 

L'OSSERVATORE ROMANO marzo 2015cliquer pour agrandir

 

Modernità di una mistica

Intervista con l'intellettuale atea Julia Kristeva, che ha studiato a lungo la santa di Ávila

L'OSSERVATORE ROMANO

02 marzo 2015

 

di Cristiana Dobner

 

«Ho incontrato Teresa — ci racconta Julia Kristeva — su sollecitazione di un editore: ho passato una decina d'anni con la stravagante monaca spagnola, di cui avevo appena sentito parlare, divenuta per me una figura imprescindibile della cultura europea. Sono lieta di aver trovato, grazie a lei, quello slancio barocco che ha trasfigurato il cattolicesimo medievale e ha aperto le porte all'umanesimo dell'illuminismo».

 

Come ha affrontato la fede di Teresa?

 

Mi sono proiettata nella scrittura di questa donna, che ha vissuto e descritto una fede che viene chiamata mistica, dove celebra così la sua unione con Gesù: «L'Anima si consuma di desiderio e non sa tuttavia chiedere, perché sente chiaramente che il suo Dio è con lei» (Castello interiore). «Il dolore della ferita era così vivo che mi faceva emettere quei gemiti di cui ho parlato, era così grande la dolcezza che mi infondeva questo enorme dolore, che non c'era da desiderarne la fine, né l'anima poteva appagarsi d'altro che di Dio. Non è un dolore fisico, ma spirituale, anche se il corpo non tralascia di parteciparvi un po', anzi molto» (Vita). «Non siamo angeli ma abbiamo un corpo» e «il Signore come uomo». E così via. L'ho accompagnata anche nell'arte barocca che l'avvicina ancora di più a noi moderni, a cominciare dall'estasi di Bernini, che fa vibrare quell'estasi nel marmo: si liquefà sotto i miei occhi nella chiesa di Santa Maria della Vittoria a Roma. Ma anche la messa che le ha dedicato Haydn o il quadro del Tiepolo a Venezia. Poiché non sono credente, ho cercato di familiarizzarmi con il suo modo di sentire e di pensare, ossia di interpretarla. Teresa invita il mondo secolarizzato a rivalutare, instancabilmente e senza pregiudizi, il bisogno di credere che sottende il desiderio di sapere.

 

E la sua straordinaria scrittura?

 

In effetti, attraverso il raccoglimento delle letture e il fervore delle preghiere, ma anche lasciandosi pervadere da musica, pittura e scultura, la scrittura di questa donna senza frontiere ci offre il suo corpo fisico, erotico, buongustaio e anoressico, isterico, epilettico, che si fa verbo e si fa carne, che si fa e si disfa in sé fuori di sé, fiotti di immagini senza cornici, costantemente alla ricerca dell'Altro e della parola giusta. Matrice aperta che palpita per l'amato sempre presente senza essere mai lì. Le estasi di Teresa sono d'un tratto e senza distinzione, parole, immagini e sensazioni fisiche, spirito e carne, o forse proprio carne e spirito: «Il corpo non tralascia di partecipare al gioco, e anche molto». Oggetto e soggetto, perduta e ritrovata, dentro e fuori e viceversa, Teresa è un fluido, un flusso costante. L'acqua sarà il suo elemento: «Sono attratta in modo particolare da questo elemento, pertanto l'ho osservato con un'attenzione speciale»; e la metafora fluida è il suo modo di pensare. Si tratta di una folgorazione intima o del ritorno al tema evangelico del battesimo? Lo stile teresiano è intrinsecamente radicato nelle immagini, esse stesse destinate a trasmettere quelle visioni che non sono percepite dalla vista (o almeno non soltanto dalla vista), ma risiedono nel corpo-e-spirito intero, nello psiche-soma. Tali "visioni" si possono ottenere dapprima ed essenzialmente al tatto, al gusto e all'udito, per poi raggiungere la vista. Se l'acqua è l'emblema del rapporto fra Teresa e l'Ideale, si capisce perché il suo Castello interiore non s'innalza come una fortezza, ma si lascia sistemare come un puzzle di dimore, moradas, dimore dai muri permeabili che il divino non domina ma abita. Vuol solo dire che la trascendenza secondo Teresa si rivela anche immanente: il Signore non è al di là, ma in lei! Il che le procura prevedibili noie con l'Inquisizione. In definitiva, più che in quei rapimenti, l'enigma di Teresa sta nel racconto che lei stessa ne fa: le sue estasi esistono al di fuori di quei racconti? Lei ne è pienamente consapevole: «Che io mi serva di tale immagine (hacer esta ficción) per farvi intendere quel che dico», scrive nel Cammino di perfezione (28, 10). Nega di essere una teologa, e rivendica solo — con modestia o con coraggiosa modernità? — di essere l'autrice di una finzione («La finzione, quell'elemento vitale delle scienze dello spirito», dirà in seguito Husserl). Una scrittrice.

 

Qual è il ruolo testimoniale di Teresa nell'umanesimo di oggi?

 

La narratrice del mio libro Thérèse mon amour, la psicanalista Sylvia Leclercq, che mi rassomiglia, conclude la sua coabitazione con Teresa indirizzando una lettera a Denis Diderot che, al suo tempo, fustigava gli abusi della religione nel suo celebre romanzo incompiuto La religiosa. Ma Diderot, ex canonico e scrittore-filosofo dell'illuminismo, piange riconoscendosi incapace di finire la sua storia: poiché, liberata dagli abusi della vita monastica, la sua religiosa è gettata in una vita priva di senso. Sono convinta che la psicanalisi freudiana, che interroga i miti e la storia delle religioni, aprendo al contempo le porte della vita interiore degli esseri moderni, sia la via maestra per trasvalutare, giustamente, questa tradizione che ci precede e con la quale abbiamo tagliato i ponti. Noi, i non credenti. Ma anche noi, i credenti molto spesso ridotti a "elementi di religione". La rilettura che le dobbiamo non deve essere solo astratta, una visione dall'alto. Lei coinvolge la memoria affettiva particolare, l'intimità di ognuno. Il seminario di Lacan fa di lei una scopritrice del "godimento femminile", dal titolo suggestivo: Ancora. Il godimento femminile sarebbe dunque insaziabile? Ancora e ancora... Perché non si limita agli organi sessuali, ma infiamma tutti i sensi e trasporta il corpo nell'infinito del senso, mentre fa precipitare il senso stesso nel nonsenso, sintomi e follie. Un godimento di cui Teresa è la migliore esploratrice, e che la esilia da se stessa: perpetuo trasporto verso l'Impossibile, l'Innominabile. Che non smette tuttavia d'invitarla a parlare, a pensare, corpo e anima, passione della scrittura. Una testimonianza straordinaria, se ce ne fosse bisogno, del fatto che esiste un umanesimo cristiano intenso e ancora incompreso, e che la cultura europea si deve reinterpretare continuamente, se vuole sopravvivere al pensiero-calcolo e rifondarsi costantemente.

 

Perché ha affrontato una donna del XVI secolo, che ha continuato a conoscere e a studiare?

 

Spero di averla convinta della modernità di questa mistica, così come appare nella mia lettura. Ma posso precisarle forse meglio la seduzione che Teresa esercita su di me, ricordando due caratteristiche della sua opera che prediligo. La prima sarebbe quella santa ironia che rasenta l'ateismo. In un passo poco ricordato del Cammino di perfezione, Teresa consiglia alle sue sorelle di giocare a scacchi nei monasteri, sebbene il gioco non fosse consentito dal regolamento, per fare «scacco matto a questo Re divino». Un'impertinenza che riecheggia la celebre formula del Maestro Eckart: «Chiedo a Dio di lasciarmi libero da Dio». La seconda è formulata da Leibniz, che in una lettera a Morell del 10 dicembre 1696 scrive: «Quanto a santa Teresa, lei ha ragione a stimarne le opere; vi ho trovato quel bel pensiero secondo il quale l'anima deve concepire le cose come se non ci fossero che Dio e lei al mondo. Il che porta persino a un'importante riflessione in filosofia, che ho impiegato utilmente in una delle mie ipotesi». Teresa ispiratrice delle monadi leibniziane che contengono l'infinito? Teresa precursore del calcolo infinitesimale? Qualunque sia la modestia dello scrivere, questo atto del linguaggio amoroso è ancora oggi — e lo sarà sempre — un'esperienza che non ignora questi rapimenti, queste estasi. La carmelitana non ha inventato la psicanalisi, e neppure la scrittura moderna ma, cinque secoli prima di noi, ha chiarito quella strana esperienza che è il pensiero ai confini del senso e del sensibile, corpo e anima insieme: i segreti della scrittura. Teresa è nostra contemporanea.

 

La sua femminilità oggi ci dice qualcosa?

 

E se la femminilità di Teresa fosse post-moderna? Questa santa barocca è di una sensualità iperbolica ma anche sublimata, senza precedenti e unica fra le stesse mistiche, portate (donne e uomini) più alla sofferenza e al puro abbandono, che alla pienezza dei sensi. Ma Teresa è anche «la più virile delle monache» (Huysmans): ossia di una bisessualità psichica — per riprendere la terminologia freudiana — quasi rivendicata, esigente.

 

Qual è il senso di maternità di questa santa che scorre da secoli?

 

La secolarizzazione è la sola civiltà priva di un discorso sulla maternità. Mentre Teresa, nelle sue preghiere, ma anche nella sua opera di rifondatrice del Carmelo descritta dettagliatamente nelle sue Fondazioni, fa apparire una visione e una pratica della sua maternità simbolica come "madre superiore". Per quanto sorprendente ciò possa apparire, alcune delle sue riflessioni a tale proposito possono illuminare — ancora oggi! — le genitrici (le donne che portano i bambini nel loro utero) quando diventano madri: quando vivono la passione e lo spassionamento da questo primo legame all'altro, che è il legame con il bambino, e diventano capaci di trasmettere la tenerezza, il linguaggio e il pensiero. Teresa comincia glorificando la sofferenza come via verso Dio, e anche come cammino obbligato della maternità. Ma ha anche il genio di distaccarsi dall'affetto muto, sia esso dolore o gioia. E raccomanda di «non godere di più» (che si tratti di godere di dolore o di godere di piacere), ma di «fare la volontà di Dio», che consiste nel «considerare gli altri senza legarsi le mani». Straordinaria, questa indefettibile dedizione agli altri, sostenuta dall'alterità dell'Altro! Sarebbe dunque questo a essere chiamato dipendenza materna: non accontentarsi di godere in sé e per sé, ma considerare l'esistenza di un Terzo, per accedere alla volontà di rispettare e sostenere gli altri, e non venire mai meno! Hannah Arendt aveva diagnosticato, dopo la Shoah, che il «male radicale» comincia dal momento in cui gli umani diventano incapaci di «pensare dal punto di vista dell'altro». Ebbene, per Teresa, essere madre sarebbe, insomma, tutto il contrario: la capacità di pensare dal punto di vista dell'altro. Oggi la freschezza di Teresa permette di riscoprire che esiste un cattolicesimo complesso, insolito, che "parla" all'intensità del nostro bisogno di credere e del nostro desiderio di sapere. Per i quali siamo privi di sostegni.

 

JK

L'intellettuale atea Julia Kristeva, di origine bulgara naturalizzata francese, è studiosa che opera tra linguistica, psicanalisi, filosofia e narrativa. Insegna Semiologia alla State University of New York e all'Université Paris 7 Denis Diderot. Tra i suoi libri, Thérèse mon amour (2008). Presidente onoraria del Consiglio nazionale Handicap: sensibiliser, informer, former, dal 2015 è Commandeur della Legion d'onore.

 

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Actualidad de una mística

· Entrevista a la intelectual atea Julia Kristeva, que estudió durante mucho tiempo a la santa de Ávila ·

 

"Encontré a Teresa –nos cuenta Julia Kristeva– a petición de un editor. Pasé unos diez años con la extravagante monja española, de la que apenas había oído hablar, y para mí se convirtió en una figura imprescindible de la cultura europea. Me alegra haber encontrado, gracias a ella, el impulso barroco que transfiguró el catolicismo medieval y abrió las puertas del iluminismo al humanismo".

 

¿Cómo afrontó la fe de Teresa?

 

Me proyecté en la escritura de esta mujer, que vivió y describió una fe llamada mística, en la que celebra su unión con Jesús de este modo: "El alma se está deshaciendo de deseo y no sabe qué pedir, porque claramente le parece que está con ella su Dios" (Castillo interior). "El dolor de esta herida era tan grande que me oprimió y suspiré. Pero también el gozo que causaba este dolor inmensamente grande era tan conmovedor que sería imposible desear verse libre de tal tormento, ni estar satisfecha con algo que fuera menos que Dios.

 

No era este un dolor corporal sino espiritual, aunque también el cuerpo participaba bastante en él" (Vida). "No somos ángeles, sino que tenemos un cuerpo" y "el Señor como hombre", etc. La acompañé también en el arte barroco, que la acercaba aún más a nosotros, los modernos, comenzando por el éxtasis de Bernini, que hace vibrar dicho éxtasis en el mármol: se licúa ante mis ojos en la iglesia de Santa María de la Victoria en Roma. Pero también la misa que le dedicó Haydn, o el cuadro de Tiepolo en Venecia. Dado que no soy creyente, traté de familiarizarme con su modo de sentir y pensar, o sea, procuré interpretarla. Teresa invita al mundo secularizado a revalorar, de manera incansable y sin prejuicios, la necesidad de creer, que implica el deseo de saber.

 

¿Y su extraordinaria escritura?

 

En efecto, a través del recogimiento de las lecturas y el fervor de las oraciones, pero también dejándose impregnar por la música, la pintura y la escultura, la escritura de esta mujer sin fronteras nos ofrece su cuerpo físico, erótico, aficionado a las comidas exquisitas y anoréxico, histérico y epiléptico, que se hace verbo y se hace carne, que se hace y se deshace en sí y fuera de sí, borbotones de imágenes sin marco, constantemente en busca del Otro y de la palabra justa. Matriz abierta que palpita por el amado siempre presente, sin estar jamás allí. Los éxtasis de Teresa son de repente y sin distinción palabras, imágenes y sensaciones físicas, espíritu y carne o, tal vez, precisamente carne y espíritu: "El cuerpo no deja de participar en el juego, y participar mucho". Objeto y sujeto, perdida y reencontrada, dentro y fuera, y viceversa, Teresa es un fluido, un flujo constante. El agua será su elemento: "Estoy atraída de modo particular por este elemento, por tanto lo he observado con una atención especial"; y la metáfora fluida es su modo de pensar. ¿Se trata de una fulguración íntima o de una remisión al tema evangélico del bautismo? El estilo teresiano está radicado íntimamente en las imágenes, y estas están destinadas a transmitir las visiones que no se perciben con la vista (o, al menos, no solo con la vista), sino que están en el cuerpo y espíritu entero, en la psique-soma. A dichas "visiones" se puede llegar sobre todo, y de manera esencial, con el tacto, el gusto y el oído, hasta abarcar después la vista. Si el agua es el emblema de la relación entre Teresa y el Ideal, se comprende por qué su Castillo interior no se eleva como una fortaleza, sino que se deja ordenar como un rompecabezas de moradas, moradas de paredes permeables que lo divino no domina, pero en las que mora. Solo quiere decir que la trascendencia, según Teresa, se revela incluso de modo inmanente: el Señor no está más allá, sino en ella. Y esto le causa dificultades previsibles con la Inquisición. En definitiva, más que en los éxtasis, el enigma de Teresa reside en la narración que ella misma hace de ellos: ¿existen sus éxtasis fuera de esos relatos? Ella es plenamente consciente de ellos: "Parecerá esto al principio cosa impertinente, digo, hacer esta ficción para darlo a entender", escribe en el Camino de perfección (28, 10). Niega ser teóloga, y solo reivindica –¿con modestia o con valiente modernidad?– que es la autora de una ficción ("la ficción, el elemento vital de las ciencias del espíritu", dirá Husserl a continuación). Es una escritora.

 

¿Cuál es el papel testimonial de Teresa en el humanismo de hoy?

 

La narradora de mi libro Thérèse mon amour, la psicoanalista Sylvia Leclerq, que se parece a mí, concluye su coexistencia con Teresa dirigiéndole una carta a Denis Diderot, que, en su tiempo, fustigó los abusos de la religión con su célebre novela inacabada La religiosa. Pero Diderot, excanónigo y escritor filósofo del iluminismo, llora reconociéndose incapaz de terminar su historia, puesto que, liberada de los abusos de la vida monástica, su religiosa es arrojada a una vida privada de sentido. Estoy convencida de que el psicoanálisis freudiano, que investiga los mitos y la historia de las religiones, abriendo al mismo tiempo las puertas de la vida interior de los hombres modernos, es el camino real para sobrevalorar, justamente, esta tradición que nos precede y de la que nos hemos desvinculado nosotros, los no creyentes. Pero también nosotros, los creyentes, muy a menudo reducidos a "elementos de religión". La relectura que le debemos no debe ser únicamente abstracta, una visión desde lo alto. Ella implica la memoria afectiva particular, la intimidad de cada uno. El seminario de Lacan hace de ella una escultora del "placer femenino", cuyo título es sugestivo: Aún. Por tanto, ¿sería insaciable el placer femenino? Aún y aún… Porque no se limita a los órganos sexuales, sino que inflama todos los sentidos y transporta el cuerpo al infinito del sentido, mientras arroja el sentido mismo al no-sentido, síntomas y locuras.

Un placer del que Teresa es la mejor exploradora y que la enajena: transporte continuo hacia lo imposible, lo innombrable que, sin embargo, no deja de invitarla a hablar, a pensar, cuerpo y alma, pasión por la escritura. Un testimonio extraordinario, si fuera necesario, del hecho de que existe un humanismo cristiano intenso y aún incomprendido, y que la cultura europea ha de reinterpretarse continuamente si quiere sobrevivir al pensamiento-cálculo y refundarse constantemente.

 

¿Por qué investigó a una mujer del siglo XVI, a la que ha seguido conociendo y estudiando?

 

Espero haberla convencido de la modernidad de esta mística, tal como aparece en mi lectura. Pero quizá pueda precisarle mejor el atractivo que Teresa ejerce sobre mí, recordando dos características preferidas de su obra. La primera es la santa ironía que roza el ateísmo. En un pasaje poco recordado del Camino de perfección, Teresa aconseja a sus hermanas jugar al ajedrez en los monasterios, aunque el juego no estaba permitido por regla general, para dar "jaque mate a este Rey divino". Una impertinencia que resuena en la célebre expresión del Maestro Eckart: "Le pido a Dios que me libere de Dios". La segunda expresión es de Leibniz, que en una carta a Morell del 10 de diciembre de 1696, escribe: "En cuanto a santa Teresa, usted tiene razón en estimar sus obras. He encontrado en ellas el hermoso pensamiento según el cual el alma debe concebir las cosas como si en el mundo solo estuvieran Dios y ella. Esto lleva incluso a una importante reflexión en filosofía, que he empleado últimamente en una de mis hipótesis". ¿Teresa inspiradora de las mónadas leibnizianas, que contienen el infinito? ¿Teresa precursora del cálculo infinitesimal? Cualquiera que sea la modestia al escribir, este acto del lenguaje amoroso sigue siendo aún hoy –y lo será siempre– una experiencia que no ignora estos embelesos, estos éxtasis. La carmelita no inventó el psicoanálisis, y ni siquiera la escritura moderna, pero cinco siglos antes que nosotros, aclaró la extraña experiencia que es el pensamiento en los confines del sentido y de lo sensible, cuerpo y alma juntos: los secretos de la escritura. Teresa es nuestra contemporánea.

 

¿Su feminidad nos dice algo hoy?

 

¿Y si la feminidad de Teresa fuera posmoderna? Esta santa barroca tiene una sensualidad hiperbólica, pero también sublimada, sin precedentes y única entre las mismas místicas, más inclinadas (mujeres y hombres) al sufrimiento y al puro abandono que a la plenitud de los sentidos. Pero Teresa es también "la más viril de las monjas" (Huysmans), o sea, de una bisexualidad psíquica –para retomar la terminología freudiana– casi reivindicada, exigente.

 

¿Cuál es el sentido de maternidad de esta santa que fluye desde hace siglos?

 

La secularización es la única civilización privada de un discurso sobre la maternidad, mientras que en sus oraciones, pero también en su obra de refundadora del Carmelo, descrita detalladamente en sus Fundaciones, Teresa presenta una visión y una práctica de su maternidad simbólica como "madre superiora". Aunque pueda parecer sorprendente, algunas de sus reflexiones sobre este tema pueden iluminar –aun hoy– a las madres (las mujeres que llevan a los niños en su seno) cuando se convierten en madres, cuando viven la pasión y la pérdida de la pasión por este primer vínculo con el otro, que es el vínculo con el niño, y son capaces de transmitir la ternura, el lenguaje y el pensamiento.

Teresa comienza glorificando el sufrimiento como camino a Dios, y también como camino obligado a la maternidad. Pero también el genio de desapegarse del afecto mudo, ya sea dolor o alegría. Y recomienda "no gozar más" (ya sea que se goce de dolor o de alegría), sino "hacer la voluntad de Dios", que consiste en "considerar a los demás sin atarse las manos". Es extraordinaria esta entrega indefectible a los demás, sostenida por la alteridad del Otro. Por tanto, esto es lo que se llamaría dependencia materna: no contentarse con gozar en sí y por sí, sino considerar la existencia de un Tercero, para aceptar la voluntad de respetar y sostener a los demás, y sin fallar jamás. Hannah Arendt había diagnosticado, después de la Shoah, que el "mal radical" comienza en el momento en que los hombres son incapaces de "pensar desde el punto de vista del otro". Pues bien, para Teresa ser madre sería, en suma, todo lo contrario: la capacidad de pensar desde el punto de vista del otro. Hoy la lozanía de Teresa permite redescubrir que existe un catolicismo complejo, insólito, que "habla" a la intensidad de nuestra necesidad de creer y de nuestro deseo de saber, para los cuales carecemos de apoyo.

 

La intelectual atea Julia Kristeva, de origen búlgaro, naturalizada francesa, es una estudiosa que se mueve entre la lingüística, el psicoanálisis, la filosofía y la narrativa. Enseña semiología en la State University of New York y en la Université Paris 7 Denis Diderot. Es autora de Thérèse mon amour (2008). Presidenta honoraria del Consejo nacional Handicap: sensibiliser, informer, former, desde 2006 es Commandeur de la Legión de Honor.

 

Por Cristiana Dobner

 


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