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Reconstructing Identity in Times of Existential Crisis
Nous le savons
tous : sous le couverts des crises – tremblement à la présidence des
Etats-Unis d’Amérique, recomposition politique en France, montée nationaliste
en Europe, Daesh combattu mais pas vaincu, incapacités des démocraties à faire
face à l’islam radical, etc. – je ne saurais les énumérer toutes, une mutation
anthropologique est en cours. Certains s’en réjouissent, d’autres craignent une
nouvelle apocalypse. A l’heure où nous parlons, rien n’est joué, tout peut
basculer.
Je me définis comme
une pessimiste énergique. Et je prétends qu’il nous faut continuer
inlassablement la refondation de l’humanisme, celui qui s’est affirmé au siècle
des Lumières, en « coupant le fil avec la tradition religieuse »
(selon Alexis de Tocqueville et Hannah Arendt). Une refondation complexe,
difficile et de longue haleine.
Pendant la récente
campagne présidentelle française, en reprenant l'anaphore répétée du candidat
Hollande : « Moi Président » pour décliner son programme, une
radio a proposé à diverses personnalités de la reprendre pour proposer
« leur » programme. « Moi Présidente », j’ai dit que je
mettrai au centre du pacte politique LA PERSONNE.
Je vous remercie de
me donner l’occasion de développer cette vision, devant les collègues,
chercheurs et étudiants de votre prestigieuse Université Ben Gurion, à
l’initiative de la Fondation Mandel et tout particulièrement du Prof. Pierre
Kletz.
Les innovations
scientifiques, les promesses du trans-humanisme, et dès maintenant les
modifications de nos comportements qu’induisent les nouvelles technologies et
l’hyperconnexion, transforment cette construction psycho-sexuelle qu’on appelle
une personne. Pour le meilleur et
pour le pire. Notre monde globalisé favorise, comme jamais dans l’histoire
humaine, les rencontres mais aussi les confrontations entre les individus, les
nations, les cultures. Certains réagissent en essayant de ressouder, voire de
barricader les identités : nationalismes, souverainismes, populismes se
radicalisent. D’autres rêvent d’une humanité golablisée heureuse, diversifiée
et fraternelle.
Je ne pense pas que
l’identité soit un archaïsme. L’identité est un anti-dépresseur qu’il convient
d’utiliser avec précaution et d'accompagner de soins délicats.
J'aborderai trois
thèmes sur l'identité :
- L’identité des
adolescents radicalsés, suivie à la Maison des adolescents (Hôpital Cochin,
Paris) où se poursuit mon séminaire de l’Université Paris-VII, sur le besoin de croire : j’insisterai sur
la place des idéaux dans la construction de l’identité .
- L’accompagnement
des personnes défavorisées, en situation
de précarité ou de handicap : j’insisterai sur la nécessité de sortir
du paradigme du « manque » et de la « pauvreté » pour
centrer l’accompagnement sur le respect de la singularité.
- Je finirai, dans
cette approche de l’identité, sur la conception de la liberté, appréhendée non comme une transgression, mais comme une
créativité.
1. Comment peut-on être djihadiste ?
Rien qu'en France,
les attentats djihadistes de Charlie Hebdo, Hyper Casher, Bataclan, Nice
et j’en passe, ont fait 234 morts, 785 blessés... Le« mal radical »désigne, pour Kant, le désastre de
certains humains qui considèrent d’autres humains superflus, et les exterminent froidement. Hannah Arendt avait
dénoncé ce mal absolu dans la Shoah.
Aujourd’hui, les
adolescents de nos quartiers pauvres, issus de familles croyantes ou non,
s’avèrent être le maillon faible où se délite, en abîme du pacte social, le
lien hominien lui-même (le conatus de
Hobbes et de Spinoza). Et la reliance entre les vivants parlants explose dans
un monstrueux déchaînement de la pulsion de mort.
Comment et
pourquoi ?
Je ne saurais développer
les causes géopolitiques et théologiques de ce phénomène : la
responsabilité du post-colonialisme, les failles de l’intégration et de la
scolarisation, la faiblesse de « nos valeurs » qui gèrent la
globalisation à coups de pétrodollars appuyés sur des frappes chirurgicales, le
rétrécissement du politique en serviteur de l’économie par une juridiction plus
ou moins soft ou hard…
Des chercheurs ont
le courage d’interroger l’Islam dans son rôle de législateur absolu, une
« orthodoxie normative » (selon Abdennour Bidar) qui n’étudie pas le
canon religieux, mais le réduit au « comment s’organiser entre nous » pour l'appliquer et invitent leurs
coreligionnaires à questionner leur rituel contraignant, à l’historiciser, à le
contextualiser : pourquoi ?
quand ? avec qui ? A l’Absolu coranique, où Allah est perçu comme
un « moteur immobile » quasi aristotélicien – il manquerait, dit-on,
un approfondissement du « meurtre du père », qui a transformé, dans
l’histoire de l’humanité, la « horde primitive » en « pacte
social ». Cette élucidation du parricide originaire en doublure de la Loi,
qui s’est produite dans le judaïsme et le christianisme, a ouvert la voie à
l’infini questionnement rétrospectif sur l’hainamoration (Lacan)
constitutive du lien anthropologique.
La globalisation et
ses crises endémiques, et l’impuissance de l’Europe en elle, ne facilitent pas
ce processus de réévaluation des valeurs. Mais elles rendent nécessaire une
refondation totale, à réinventer, sans suivre aucun modèle préalable, fût-il celui
des Lumières. D’autant que la pensée procédurale de la modernité
entrepreneuriale, le comment à la
place du pourquoi, l’assujettissement
au calcul technique, le retrait des individus interconnectés, avec mort à soi et exaltation virtuelle, ne sont pas en
contradiction avec des comportements rituels d’un autre âge : nos
barbaries modernes se reconnaissent dans les anciennes et vice versa, leurs
logiques sont compatibles.
En amont des
mesures punitives, sécuritaires ou militaires, il ne suffit pas de repérer
comment se recrutent les djihadistes sur Internet ou dans les prisons, il
importe d’accompagner les jeunes en voie de radicalisation, avant qu’ils ne
rejoignent les camps de Daesh, pour revenir en kamikazes ou, éventuellement, en
repentis plus ou moins sincères et réinsérés.
L’écoute
psychanalytique est partie prenante de cet accompagnement. Pourquoi « la
pulsion de mort » remplace-t-elle – au travers de l’adhésion à un corpus
religieux – le besoin pré-religieux, anthropologique, de croire chez les adolescents
qu’on dit « fragiles » ?
Le besoin de croire
Deux expériences
psychiques confrontent le clinicien à cette composante anthropologique
universelle que j’appelle le besoin de
croire pré-religieux.
La première renvoie
à ce que Freud, répondant à la sollicitation de Romain Rolland, décrit non sans
réticences, comme le « sentiment océanique » avec le contenant
maternel (Malaise dans la civilisation, 1929).
La seconde concerne
l’« investissement » : Besetzung (allemand), cathexis (anglais) -
°kred en sanscrit, °amuna en hébreu, °credo en latin – et/ou l’« identification primaire » avec
le « père de la préhistoire individuelle » : amorce de l’Idéal
du moi, ce « père aimant », antérieur au père œdipien qui sépare et
qui juge, aurait les « qualités des deux parents » (Le Moi et le Ça, 1923).
La croyance dont il
s’agit ici est une certitude inébranlable : plénitude sensorielle et
vérité ultime que le sujet éprouve comme une sur-vie exorbitante,
indistinctement sensorielle et mentale, à proprement parler ek-statique (dans
le « sentiment océanique ») et dépassement de soi dans la
« transcendance » de ce premier tiers qu’est le père
(l’« unification » avec la paternité aimante).
Ce besoin de croire satisfait, et offrant
les conditions optimales pour le développement du langage, apparaît comme le
fondement sur lequel pourra se développer une autre capacité, corrosive et
libératrice : le désir de
savoir.
L'adolescent est un
croyant
La curiosité
insatiable de l'enfant-roi fait de lui un « chercheur en
laboratoire » nous dit Freud dansTrois
Essais sur la théorie de la sexualité (1905), qui veut découvrir
« d’où viennent les enfants ». L’éveil de la puberté implique chez
l'adolescent une réorganisation psychique sous-tendue par la quête d’un idéal,
d'un dépassement de soi et du monde : l'adolescent désire s’unir à une
altérité idéale, ouvrir le temps dans l’instant, l’éternité maintenant. C'est
un « croyant » : il croit dur comme fer que le paradis existe,
que la satisfaction absolue des désirs existe, que l’objet d’amour idéal est à
sa portée, car il est résorbé dans l’investissement, confondu avec le
besoin de croire. Croire, au sens de la foi, implique une passion assimilatrice
pour la relation d'objet : la foi veut tout, elle est potentiellement
intégriste, comme l'est l'adolescent.
Cependant, nos
pulsions et désirs étant ambivalents, sado-masochiques, la réalité impose
frustrations et contraintes, et l’adolescent, soufflé par son pseudo-objet
idéal, éprouve cruellement l'impossibilité de sa croyance. Dès lors, cette
passion s'inverse en punition et autopunition : la déception-dépression-suicide
; la poussée destructrice de soi-avec-1'autre : le vandalisme de la petite
délinquance ; la toxicomanie qui abolit la conscience, mais réalise la croyance
en l'absolu de la régression orgasmique dans une jouissance
hallucinatoire ; l'anorexie qui attaque la lignée maternelle et
révèle le combat de la jeune fille contre la féminité, dans le fantasme d'une
spiritualité, elle aussi absolue, où le corps tout entier disparaît dans un
au-delà à forte connotation paternelle.
Croyance et
nihilisme : les maladies de l'âme
Structurée par
l'idéalisation, l'adolescence est une maladie
de l'idéalité (Jeannine Chasseguet-Smirgel) : soit l'idéalité lui
manque ; soit celle dont elle dispose ne s'adapte pas à la pulsion
pubertaire et à son besoin de partage avec un objet absolument comblant, sans
manque. Nécessairement exigeante et hantée par l’impossible, la croyance
adolescente se déroute dans la perversion,
elle côtoie ainsi et inexorablement le nihilisme
adolescent : Dostoïevski fut le premier à sonder ces nihilistes
possédés. Puisque le paradis existe (pour l'inconscient), mais « il »
ou « elle » me déçoit (dans la réalité), je ne peux que
« leur » en vouloir et me venger ; la délinquance s'ensuit. Ou
bien : puisque ça existe (dans l'inconscient), mais « il » ou
« elle » me déçoit ou me manque, je ne peux que m'en vouloir et me
venger sur moi-même contre eux : les mutilations et les attitudes
autodestructrices s'ensuivent.
La déliaison
Endémique et
sous-jacente à toute adolescence, la maladie
d’idéalité risque d’aboutir à une désorganisation psychique profonde, si le
contexte traumatique, personnel ou socio-historique s’y prête. L’avidité de
satisfaction absolue se résout en destruction de tout ce qui n’est pas cette
satisfaction, abolissant la frontière entre moi et l’autre, le dedans et le
dehors, entre le bien et le mal. Aucun
lien à aucun « objet » ne subsiste pour ces « sujets »
qui n’en sont pas, en proie à ce qu’André Green appelle la déliaison (Cf. André Green,
La Déliaison, 1971-1992) avec ses deux versants : la
désubjectivation et la désobjectalisation. Où seule triomphe la pulsion de
mort, la malignité du mal.
Déni ou ignorance,
notre civilisation sécularisée n’a plus de rites d’initiation pour les
adolescents. Les pratiques culturelles et cultuelles, connues depuis la
préhistoire et pérennisées dans les religions constituées, authentifiaient le
syndrome d’idéalité des adolescents et aménageaient des passerelles avec la
réalité communautaire. La littérature, en particulier le roman dès qu’il
apparaît à la Renaissance, savait narrer les aventures initiatiques de héros
adolescents : le roman européen est un roman adolescent. L’absence de ces
rites laisse un vide symbolique, et la littérature-marchandise ou spectacle est
loin de panser les angoisses de ce croyant nihiliste qu’est l’adolescent
internaute qui préfère les jeux vidéo aux livres.
Aux XIXe et Xxe siècles,
l’enthousiasme idéologique révolutionnaire, qui « du passé faisait table
rase », avait pris le relais de la foi : la « Révolution »
a résorbé le besoin de se transcender, et l’espoir que l’« homme
nouveau », femme comprise, saurait jouir enfin d’une satisfaction totale
s'est effondré, quand le totalitarisme a mis fin à ce messianisme laïc, qui
avait expulsé la pulsion de mort dans l’« ennemi de classe », et
réprimé la liberté de tous de croire et de savoir.
En dessous du heurt
des religions
Prise au dépourvu
par le malaise des adolescents, la morale laïque semble incapable de satisfaire
leur maladie d’idéalité. Le traitement religieux de la révolte par les
quiétistes n'y parvient pas non plus. L'aspiration paradisiaque est
instrumentalisée par les intégristes qui le pousse au combat armé ce croyant paradoxal,
forcément nihiliste, parce que pathétiquement idéaliste, qu'est l'adolescent
désintégré, désocialisé dans l'impitoyable migration mondialisée imposée par
l’ultralibéralisme.
Il existe également
des « fausses » personnalités, « clivées », « comme
si » : chez ces adolescents (ou jeunes adultes) en apparence bien
socialisés, et dotés de performances techniques plus ou moins appréciables
(conformité au « comment »), les crises affectives
inabordables (soustraites au « pourquoi » du langage et de la pensée,
et en ce sens « muettes ») se manifestent brusquement dans des
conduites destructrices, au grand étonnement des proches qui ne se doutaient de
rien... En dessous du « heurt
de religions », la déliaison nihiliste
est plus grave que les conflits interreligieux, parce qu'elle saisit plus en
profondeur les ressorts de la civilisation, mettant en évidence la destruction
du besoin de croire pré-religieux, constitutif de la vie psychique avec et pour
autrui.
Ces états-limites
déferlent dans des catastrophes sociopolitiques, telle l’abjection de
l’extermination que fut la Shoah, une horreur qui défie la raison. Ils prennent
de nouvelles formes dans le monde globalisé, dans la foulée des maladies
d’idéalité.
L’expérience
psychanalytique ne se contente pas d’être un « moralisme
compréhensif » (contre lequel Lacan mettait en garde les psychanalystes).
Dans l’intimité du transfert-contretransfert, elle cherche à affiner
l’interprétation de cette malignité potentielle de l’appareil psychique qui se
révèle dans les maladies d’idéalité. Que par ailleurs, ni la mystique ni la
littérature n'ont ignorées.
La psychanalyse se
réinvente
Souad est une jeune
fille de 14 ans, de famille musulmane. Elle avait été suivie pour
anorexie : lente mise à mort du corps, tuer la femme et la mère en soi,
abandonnées et incomprises. Deux ans plus tard, l’état de guerre de Souad a
changé. Burqa, silence, et Internet où, avec des complices inconnus, elle taxe
sa famille d’« apostats, pires que les mécréants », et prépare son
voyage « là-bas », pour se faire épouse occasionnelle de combattants
polygames, mère prolifique de martyrs ou kamikaze elle-même.
Souad a commencé
les entretiens avec l'équipe mutilculturelle et mixte de psychothérapie
analytique par une provocation, en disant qu’elle était un « esprit
scientifique », forte en maths et physique-chimie, et que « seul
Allah disait vrai et pouvait la comprendre ». La littérature « ne lui
disait rien » et elle « détestait les cours de français et de
philo » qu’elle « séchait au possible ».Mais Souad a trouvé du
plaisir à se raconter, à jouer avec l’équipe ; des transferts éclatés et
ténus se profilant, comme avec une nouvelle famille recomposée, elle a pu rire
avec les autres et d’elle-même. Et renouer avec le français ; apprivoiser
avec le langage ses pulsions destructrices et ses sensations en souffrance.
D’autres ados accompagnés par l’équipe fréquentaient des ateliers d’écriture et
de théâtre. Souad leur a emprunté un livre de poèmes arabes traduits en
français. Elle sèche moins les cours de français. Et elle a remis son jean.
Roland Barthes
écrivait que si vous retrouvez la signification dans la plénitude d’une langue,
« le vide divin ne peut plus menacer ». Le trop-plein du divin
totalitaire non plus. Souad n’en est pas encore là. Ce sera long. Elle aurait
récemment investi unethérapeute,
avec laquelle elle est en train d’élaborer la reliance maternelle. Mais combien de jeunes n’auront pas sa chance
de rencontrer une écoute analytique ? Et de renouer avec une identité en
mouvement ?
2.
Privation vs
possession : « avoir » ou « être »
·
Depuis Aristote (la Physique), qui caractérisait les
aptitudes humaines à partir de la catégorie du défaut, la stérésis, en passant par l’Evangile selon
Matthieu (25: 35 sq), qui la traduit par la notion de
« pauvreté » (« Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à
manger ; j’ai eu soif […] ; j’étais un étranger […] ; nu […] ;malade […] ;en
prison […]. Chaque fois que vous l’avez fait à l’un des moindres de mes frères,
vous me l’avez fait à moi. »), en passant par les Ordres caritatifs et
jusqu’au regard sécularisé sur la précarité et le handicap, une même tonalité
perdure. Entendons : certaines personnes sont « en défaut »,
diversement pauvres, « stériles »... ; il ne nous reste qu’à
partager leur impuissance dans notre passion, et sur cette com-passion avec le « manque à être/avoir »,
de fonder le « bien vivre ». Telle est l’éthique de l’humanisme
chrétien, qui se prolonge plus ou moins sournoisement.
Comprenez-moi
bien : il ne s’agit pas d’ignorer le pathologique et encore moins de
l’abolir – l’inévitable de la norme nous l’interdit – mais bien de le
compléter.
Tel quel, il risque
d’enfermer le sujet handicapé dans une position d’« objet de
soin(s) », de « pris en charge », au mieux par la
« tendresse », souvent en négligeant et les connaissances
scientifiques qui parviennent à identifier et à traiter les symptômes
spécifiques, et les capacités créatrices qui existent, y compris chez les plus
souffrants.
Je soutiens, au
contraire, contre le paradigme de l’« avoir » (et/ou de « ne pas
avoir ») et de la stéresis, le
paradigme de la singularité de l’être.
La singularité comprend jusqu’au déficit lui-même, en tant que révélateur de la
finitude et des frontières du vivant, mais ne l’enferme pas : il n’est pas
une privation, une défaillance ni un péché. La contingence du singulier est positive, en elle « être » et
« étant » se conjoignent. La contingence du singulier
« handicapé » me révèle ma propre singularité de
« possédant » dit « valide », que je n’exalte ni ne nie,
mais que j’apprivoise pour de bon à partir de la singularité du
« manquant ». C’est la mortalité en marche qui me touche en lui, j’en
suis, elle me tombe dessus, je l’accompagne, je l’aime telle qu’elle est. Par
mon amour pour l’autre singulier, je le porte à son développement spécifique,
singulier, – et au mien, également spécifique et singulier.
L’ex-chanoine
Diderot avait repris quant à lui, d’une autre façon, qui est celle de
l’humanisme moderne, cette « singularité positive », quand il avait
entrepris de transformer – pour la première fois au monde – la personne handicapée en sujet politique. Les handicapés ont tous
les droits, « naissent libres et égaux en droits », laisse-t-il
entendre en substance dans sa Lettre sur
les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749). Et les Déclarations des droits de l’homme prendront
beaucoup de temps pour mettre en pratique ce principe qui transforme, en
positivité efficiente, la finitude en acte dans la personne handicapée. Le
droit à la « compensation personnalisée » de la loi française de 2005
en est un aboutissement.
Pourtant, afin
d’accomplir cette ambition de l’humanisme moderne, il nous faudrait réinventer
ce corpus mysticum que Kant évoque à
la fin de la Critique de la raison pure (1781),
afin que la singularité de la personne avec handicap puisse transformer les normes elles-mêmes en concept dynamique,
évolutif : réinventer l’amour comme union avec la singularité du tout
autre.
En d’autres
termes : à la solidarité intégratrice avec les défaillants, il importe de
substituer l’amour des singuliers. Quel amour ? L’amour en tant que désir
et volonté pour que le singulier puisse élucider, faire reconnaître et
développer en la partageant sa propre singularité. Bien plus qu’une solidarité,
encore balbutiante, seul cet amour-là peut conduire la singularité positive (et
non pas « manquante ») dans une société, qui est fondée sur la norme
sans laquelle, je l’ai dit, il n’y a pas de lien, mais peut aussi faire évoluer
les normes.
En ouvrant la question
de l’amour, « transfert continûment élucidé » dans l’accompagnement
de la personne handicapée, c’est à la formation
des personnels intervenants que je pense, vous l’avez compris, et à la
place de la psychanalyse dans ce domaine complexe et polémique. Nous y
reviendrons sans doute dans le débat.
Permettez-moi de
conclure – sur un ton plus personnel – en rappelant le rôle maternel dans cette
épreuve. Tout soignant, toute soignante, développe en soi la bisexualité
psychique : féminin et masculin, reliance maternelle et cadrage paternel,
empathie et distance, affects et lois.
3.
Quelle
liberté ?
Pour finir, quelle liberté dans ce contexte ?
La liberté n’est pas une notion
psychanalytique. Freud n’emploie que rarement le terme de « poussée
libertaire » (Freitheitsdrang) :
ambivalente, à la fois révolte contre l’injustice et source de progrès, mais
aussi individualisme indompté hostile à la civilisation, la liberté est freinée
par le besoin de sécurité et, dès les débuts de l’hominisation, jugulée par la
conscience morale qui impose le renoncement aux pulsions. Certes, mais
l’expérience psychanalytique propose une autre version de la liberté, qui
s’appuie sur la possibilité du transfert-contretransfert d’optimaliser la vie psychique, pour établir de
nouveaux liens et développer des créativités (car telle fut l’éthique qui
préside aux fondations de la psychanalyse, bien que la formulation en revienne
à Winnicott). Cette vision de la liberté comme optimalisation de la vie
psychique s’inscrit dans un courant
philosophique, lui aussi d’inspiration kantienne, selon lequel la liberté n’est pas une révolte-négation des interdits de la poussée hormonale, électrique ou
libidinale ; la liberté est une initiative, un recommencement de soi
dans le temps : Selbstanfanf (Kant), Self-beginning. Mais, tandis que certains tendent à réduire cette liberté-initiative dans la liberté d’entreprendre, dans
les procédures de l’adaptation à la
production-reproduction-communication-marketing, d’autres, au contraire,
privilégient, dans l’initiative, la
découverte de la liberté-révélation par
et dans la rencontre avec l’autre.
La liberté n'est
pas un choix (« et si c’était mon choix de porter la burqa, d’aller
rejoindre Daesh? »), c'est une construction-dépassement
de soi avec et vers l’altérité de l’autre. Tandis que la vieille Europe
s’essouffle en mesures impuissantes, et que, de l’autre côté de l’Atlantique,
dominent le schéma binaire gagnant/perdant et la politique spectacle,
l’engagement pour la vie psychique s’annonce indispensable, ardu et de longue
haleine ;je le répète.
Et je m’adresse aux
étudiants dans cette salle, qui se consacrent à l’accompagnement des personnes,
ou bien à ceux qui, quelle que soit leur profession, auront le souci du lien
social-politique-éthique. Il n’y a pas d’autre voie pour affronter les
surprises de la mutation anthropologique en cours. Il nous revient, il VOUS
revient, d'approfondir et de disséminer cette liberté vitale que nous cherchons
à faire advenir au plus intime de ceux qui nous font confiance, et même chez
ceux qui répandent le « mal radical ». Et pour cela, il nous/vous
faut solliciter des complicités, disséminer notre/votre pratique, et sans
relâche approfondir et innover notre/votre recherche.
JULIA KRISTEVA
12 juin 2017, à l'Université de Ben Gourion
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Reconstructing Identity in Times of Existential Crisis
We all know that
under the guise of crises—presidential turbulence in the United States of
America, political recomposition in France, the rise of
nationalism in Europe, Daesh (ISIS) fought but not defeated, the incapacity of
democracies to successfully face down radical Islam, etc.—I cannot enumerate
them all, but suffice it to say that an anthropological transformation is
underway. Some rejoice, others fear a new apocalypse. Now, as we speak, nothing
can be taken for granted, anything could topple.
I define myself as an
energetic pessimist. And I say that we must tirelessly continue the rebuilding
of humanism, that Enlightenment philosophy, by "cutting ties to religious
tradition" (according to Alexis de Tocqueville and Hannah Arendt). And it
will be a complex, difficult, and long-term rebuilding.
During the previous
French presidential campaign, one radio station asked various personalities to
propose “their own” program: “What would you do if you were president?” I said
that “if I were president,” I would put the INDIVIDUAL at the center of the
political pact.
Thank you for giving
me the opportunity to expand on this vision here in the presence of the
colleagues, researchers, and students of your prestigious Ben Gurion
University, at the initiative of the Mandel Foundation and especially Prof.
Pierre Kletz.
Scientific innovations,
the promises of transhumanism, and now the changes in our behavior that new
technologies and hyperconnectivity bring about,
transform the psychosexual construction that is called a person. For better and for worse. Our globalized world promotes, as
never before in human history, encounters but also confrontations between
individuals, nations, and cultures. Some react by trying to strengthen and even
secure identities; nationalisms, sovereignties and populisms are becoming
radicalized. Others dream of a happy, globalized, diversified, and fraternal
humanity.
I do not think identity is archaic. Identity is an
anti-depressant that should be used with caution and accompanied by delicate
care.
I will address three
themes on identity:
- The identity of
radicalized teens, who are being cared for at the Maison des Adolescents
(Cochin Hospital, Paris), where my University Paris-VII seminar on the need to believe takes place; here, I
will insist on the role of ideals in
the construction of identity.
- Caring for the disadvantaged, the disabled, and those in
precarious situations; here, I will insist on the need to give up the
paradigm of "lack" and "deficiency" to focus our attention on
respecting singularity.
- Finally, in this
approach to identity, I will finish on the concept of freedom, seen not as a transgression, but as something creative.
1. How Can One Be a Jihadist?
In France alone, the
Jihadist attacks on Charlie Hebdo,
Hyper Casher, the Bataclan, Nice, and so on, left 234 dead, 785 injured, and
more. We are facing what Kant called "radical evil", designating
by this word the disaster of certain humans who consider other humans superfluous, and exterminate them
coldly.
Today, the
adolescents in our poorest neighborhoods, whether from religious or
non-believing families, are the weakest link, where the hominian bond itself (the conatus of Hobbes
and Spinoza) crumbles into the abyss of the social pact. And the connection
between the speaking living explodes in a monstrous outburst of the death drive.
How and why?
I cannot speak to the
geopolitical and theological causes of this phenomenon; the responsibility of
post-colonialism, the flaws in integration and schooling, the weakness of
"our values", which manage globalization with petrodollars supported
by surgical strikes, the shrinking of politics into the servant of the economy
via a jurisdiction that is softer or harder.
Some researchers have
the courage to question Islam in its role of absolute legislator, a
"normative orthodoxy" (according to Abdennour Bidar) inviting us to historicize it. One might say
that the elucidation of the original parricide in the doubling of the Law,
which founded the social pact in the history of mankind, is lacking, and opened
the way to infinite retrospective questioning of the "hainamoration (Lacan) that constitutes the anthropological link.
Globalization and its
endemic crises, and the powerlessness of Europe in it, do not facilitate the
process of reevaluating modern ethical values. But they do make the total refounding of humanism necessary, so as to reinvent,
without following any previous model, even the values of the Enlightenment.
Particularly as the procedural thinking of entrepreneurial modernity, the how instead of the why, the dependence on technical calculation, the withdrawal of
interconnected individuals, with death of the self and virtual exaltation, do not contradict the rituals of
fundamentalist behaviors of another age. Our modern barbarities recognize
themselves in those of another age and vice versa; their logics are compatible.
Why, in those
adolescents we label "fragile", does the "death drive"
replace the pre-religious, anthropological need to believe through adherence to
a religious corpus? Repentent and headed for
radicalization, psychoanalysis can help them.
The need to believe
Two psychic
experiences confront the clinician with this universal anthropological
component which I call the pre-religious need
to believe.
The first refers to
what Freud described as the "oceanic feeling" with the maternal
container (Civilization and its
Discontents, 1929).
The second is called "cathexis"
in English, bezetsung in German, investissment in French, kred in Sanskrit, emuna in Hebrew, and credo in
Latin, and designates the "primary identification" with the
"father in the personal prehistory". This "loving father", prior
to the Oedipan father who separates and judges, has
the "qualities of both parents" (The
Ego and the Id, 1923) and gives rise to
the ideal ego and all ideals.
The belief in question here is not a
hypothesis; it is unshakeable certainty: sensory fullness and ultimate truth
that the subject experiences as an exorbitant "sur-vival",
indistinctly sensory and mental, something that is strictly speaking ek-static (in the "oceanic feeling"); and
transcendence of the self in the "transcendence" of this first third
party that is the father (the "unification" with loving fatherhood).
This need to believe satisfied, and offering
optimal conditions for the development of language, appears to be the
foundation on which can develop another ability, one that is corrosive and
liberating: the desire to know.
The teenager is a
believer
The insatiable
curiosity of the child-king makes him a "laboratory researcher",
Freud tells us in Three Essays on the
Theory of Sexuality (1905), and one who wants to find out "where
children come from". For adolescents, the awakening of puberty involves a
psychic reorganization underpinned by the pursuit of an ideal, the surpassing
of oneself and the world; teenagers want to join an ideal otherness, opening time in an instant, eternity now. They are
"believers": they firmly believe that paradise exists, that the
absolute satisfaction of desires exists, that the object of ideal love is
within their reach, for they are absorbed in cathexis, which they have conflated
with the need to believe. To believe, in the sense of faith, implies an
assimilative passion for the object relation: faith wants everything, and is
potentially fundamentalist, as is the adolescent.
However, as our impulses
and desires are ambivalent and sadomasochistic, reality imposes frustrations
and constraints, and the adolescent, blown by his ideal pseudo-object, cruelly
experiences the impossibility of his belief. From then on, this passion is
reversed in punishment and self-punishment—disillusion-depression-suicide; the
self-destructive urge of self-with-other—the vandalism of petty delinquency;
the drug addiction that abolishes consciousness but realizes belief in the
absolute of regression in a hallucinatory pleasure; the anorexia that attacks
the maternal line and reveals the girl's struggle against femininity in the
fantasy of a spirituality, itself also absolute, in which the whole body
disappears in a beyond with a strong paternal connotation.
Belief and nihilism:
diseases of the soul
Structured by
idealization, adolescence is a disease of
ideality: either ideality is lacking; or the ideals that adolescents possess
do not adapt themselves to the pubertal drive and its need for sharing with an
absolutely fulfilling object, without lack. Necessarily demanding and haunted
by the impossible, the adolescent belief directs itself toward eroticized destructiveness, and thus
inexorably rubs shoulders with teenage
nihilism; Dostoevsky was the first to fathom these possessed nihilists.
Since paradise exists (for the unconscious), but "he" or
"she" disappoints me (in reality), I can only be upset with
"them" and avenge myself; delinquency ensues. Or, since it exists (in
the unconscious), but "he" or "she" disappoints or is
missed by me, I can only blame myself and avenge myself against them; mutilation
and self-destructive attitudes follow.
The unbinding process
Endemic to and
underlying all adolescence, the disease
of ideality may lead to profound psychological disorganization if the
traumatic, personal, or socio-historical context lends itself to that. The
greed for absolute satisfaction is resolved in the destruction of all that is
not this satisfaction, abolishing the boundary between the self and the other,
within and without, good and evil. No
link to any "object" remains for those "subjects" who
are not yet independent, prey as they are to what psychoanalyst André Green
calls the unbinding process (Cf. André
Green, La Déliaison,
1971-1992) with its two sides, desubjectification and deobjectification. Where only the death drive
triumphs, aggravated by drug abuse, there lies the malignity of evil.
Whether through
denial or ignorance, our secularized civilization no longer has any initiation
rites for adolescents, which once helped them connect to the community reality,
and exposes them to the traumatic symbolic void. Even literature no longer suffices
to heal the anguish of the nihilist believer that is the young internet surfer
who prefers video games to books.
In the 19th and 20th centuries,
the secular messianism of the "Revolution" absorbed both this need to
transcend itself, and the illusion of total satisfaction for all.
Totalitarianism saw the death drive in the "class enemy," and
repressed all freedom to believe and know.
Underneath the clash
of religions
Demolished, desocialized in the pitiless globalized migration imposed
by ultra-liberalism, or sometimes seemingly well adapted but suffering from
deep, unexpressed emotional crises, adolescents abruptly adopt destructive
conduct under the cover of religious fundamentalism. The nihilist unbinding process destroys the pre-religious
need to believe that constitutes psychic life with and for others and supports
all civilization.
These boundary states
unfold into sociopolitical catastrophes, such as the abjection of extermination
that was the Shoah, a horror that defies reason. They take on new forms in the
globalized world, in the wake of diseases of ideality.
Psychoanalytic
experience is not merely a "comprehensive moralism" (against which
Lacan warns psychoanalysts). In the intimacy of transference-countertransference,
it seeks to refine the interpretation of the potential malignity of the psychic
apparatus in the sense of being capable of radical evil that is revealed in
diseases of ideality. And that, moreover, neither mysticism nor literature have
ignored.
Psychoanalysis reinvents
itself
Souad is a 14-year-old
girl from a Muslim family. She had been monitored for anorexia—the slow killing
of the body, the killing of the abandoned and misunderstood woman and mother in
oneself. Two years later, the state of war in Souad changed. Burqa, silence, and the Internet, where, with unknown accomplices, she
accused her family of being "apostates, worse than disbelievers", and
prepared for her journey "there" to become an occasional wife of
polygamous martyrs or a kamikaze herself.
Souad began interviews
with the mixed multicultural analytical psychotherapy team with a provocation,
saying she was a "scientific mind", strong in math and
physics-chemistry, and whom "only Allah could truly understand ".
Literature "did nothing for her" and she "hated the French and phil classes" that she "skipped whenever
possible". But Souad found pleasure in telling
about herself, playing along with the team; scattered and tenuous transferences
emerged, as with a newly recomposed family, and she was able to laugh with
others and at herself. And to reconnect with French; to tame with words her
destructive urges and suffering senses. Other teenagers supported by the team
attended writing and theater workshops. From them, Souad borrowed a book of Arabic poems translated into French. She began to skip
French courses less. And she put on her jeans again.
Roland Barthes wrote
that if you find meaning in the fullness of a language, "the divine void can no longer
threaten". And, I would add, nor can the excess of the totalitarian
divine. Souad is not there yet. It will take a long
time. She has recently invested in a female therapist, with whom she is in the process of formulating maternal reliance. But how many young people will have the chance
to receive such analytical attention? And to reconnect with an identity in flux?
2. Deprivation vs. possession: 'To have' or 'to be'
Thinkers from Aristotle
all the way to Christian and post-Christian humanism view disability as a defect, 'poverty', lack. And we try to
base the "good life" on compassion, even solidarity, towards this
"lack of being", this impotence, this disability. This compassionate ethic
is prolonged more or less unconsciously even in those contemporary attitudes
that pretend to be the most egalitarian.
Please understand: it
is not a matter of ignoring the pathological, and still less of abolishing it—norms
are unavoidable and make impossible such attitudes—but rather of completing it.
As such, this view
risks locking the disabled subject into the position of a "care
object", of "someone taken care of", at best with
"tenderness", but often through neglect both the scientific knowledge
that identifies and treats specific symptoms, and the creative abilities that
exist, including among those who suffer the most.
In opposition to the
paradigm of "having" (and/or "not having"), however, I argue for the paradigm
of the singularity of the being. Singularity
includes deficit itself as a revealer of the finitude and the borders of the
living, but does not enclose it: singularity is not a deprivation, a lapse or a
sin. The contingency of the singular is positive, as "to be" and "being" come together in it.
The contingency of the singular "handicapped" individual reveals to
me my own singularity of "possessing" said "validity",
which I neither exalt nor deny, but which I accept for good beginning with the
singularity of what is "lacking" or “missing”. It is mortality in
progress that touches me in this; I am it, it falls upon me, I accompany it, I
love it as it is. Via my love for the singular other, I bring it to its
specific, singular development—and to mine, also specific and singular.
The ex-canon Diderot
himself, in another manner which is that of modern humanism, took up this
"positive singularity" when he undertook to transform—for the first
time in the history of the world—the disabled
person as a political subject. The disabled have all the rights, "are
born free and equal in rights", he says, in essence, in his Letter on the Blind for Use by Those Who See (1749). And the Declaration of Human
Rights would take a long time to put into practice this principle, which
through efficient positivity transforms finitude into action in the handicapped
person. The right to "personalized compensation" in the recent French
law addressing disability is an attempt to achieve this ambition.
Yet in order to
fulfill this modern humanist ambition, we have to reinvent the Corpus Mysticumthat
Kant evokes at the end of the Critique of
Pure Reason (1781), so that the singularity of the disabled person can
transform norms themselves into an adaptable dynamic concept—reinventing love as a
union with the singularity of the very other.
In other words: for
the notion and practice of integration, it is important to substitute the
notion and practice of interaction between political subjects, which I
define as a love of the singular. Why this demanding word?
Mark Zuckerberg, the
co-creator of Facebook, recently asserted that it is necessary and possible to
give a “universal income” to every person on Earth. In order to prevent this
happy, universal perspective from degrading into universal egalitarianism and
the banalization of happiness, let us not forget to accompany it with
singularized care for each person’s creativity. Here, I take up again this worn
word, “love”. Love as desire and will so that the singular can elucidate, get
recognition and develop by sharing its own singularity. Much more than just a
stammering solidarity, only this love can lead to positive (and not
"lacking") singularity in a society founded on norms without which,
as I have said, there can be no connection, but it can also change norms.
By opening the
question of love, a "continuously elucidated transference"
accompanying the handicapped person, it is of the training of caregivers
that I am thinking, you understand, and in place of psychoanalysis in
this complex and polemical domain. We will probably come back to this in the
debate.
Allow me to conclude—in
a more personal tone—by recalling the maternal role in this trial. Every
caregiver develops their own psychic bisexuality: feminine and masculine,
maternal reliance and paternal framing, empathy and distance, affects and laws.
3. What freedom?
Finally, what freedom is there in this context?
Freud made but little
mention of freedom, as it was necessarily hampered in his view by the libidinal
prohibitions inherent to civilization. But the possibility that transference-countertransference
has to optimize psychic
life, establish new bonds, and develop creativity is the founding ethic of
psychoanalysis, as Winnicott later formulated. Inspired by a current of Kantian
inspiration, this freedom is an initiative, a restarting of oneself in time: Selbstanfanf (Kant), selfbeginning. It cannot be reduced to merely the entrepreneurial freedom so dear to the
"markets"; it is a freedom-revelation by and in the encounter with the other.
Freedom is not a choice ("and what if it was my
choice to wear a burqa, to go join Daesh? "), it is a construction and a bypassing or transcendence of the self with
and towards the alterity of the other. While old Europe wastes its breath
on impotent accommodations, and on the other side of the Atlantic, the
winner/loser binary and spectacle politics dominate, I say again that the
commitment to psychic life promises to be indispensable, arduous and long-term.
And I am addressing
the students in this room, who are dedicated to the care and support of people,
or to those who, regardless of their profession, are concerned with the link
between the social, the political, and the ethical. There is no other way to
face the surprises of the current anthropological shift. It falls to us, it
falls to YOU, to deepen and to disseminate that vital freedom that we seek to
bring in its most personal sense to those who trust us, and even to those who
spread "radical evil". And for this, we/you must solicit complicity,
disseminate our/your practice, and relentlessly deepen and innovate our/your
research.
Ben-Gurion University of the Negev, 21 June 2017